Dès la publication du jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique sur la polygamie, de distingués juristes ont commencé à lui tirer dessus.

Interdire la polygamie, disent en substance ces beaux esprits à qui la rectitude politique a fait perdre la tête, serait ouvrir la porte à la criminalisation de tous les arrangements matrimoniaux ou sexuels qui s'écartent du modèle du mariage hétérosexuel. Cela risquerait de remettre en question, par exemple, le mariage gai ou les remariages, voire de criminaliser l'adultère.

Pardon? Comment peut-on comparer l'exploitation foncièrement misogyne que constitue la polygamie aux autres formes d'union entre adultes consentants?

Le mariage entre deux homosexuels n'a rien, en soi, de dégradant ni pour l'un ni pour l'autre. Ni le remariage suivant un divorce. Les femmes y ont droit autant que les hommes, tout comme d'ailleurs les individus des deux sexes ont le droit, dans nos sociétés libérales, de prendre un amant ou une maîtresse, de s'adonner à l'échangisme ou à des rapports sexuels de groupe.

On reproche au juge britanno-colombien de baser une partie de son argumentation sur la valeur du mariage monogame, «une valeur qui, dit-il, est fondamentale en Occident depuis la nuit des temps». Où est le problème? Le concept de «monogamie» n'exclut personne. Deux gais mariés sont monogames même s'ils s'offrent des escapades. Un homme marié n'a qu'une épouse même s'il a des maîtresses, et une femme remariée reste dans une relation monogame. Il n'y a aucune «pente glissante» à l'horizon.

Le mot «monogamie» signifie simplement qu'on ne peut être marié (on parle ici de mariage, non d'union libre) qu'avec une seule personne en même temps, ce qui est effectivement la base des lois sur le mariage dans toutes les sociétés occidentales.

Là n'était pas, de toute façon, le coeur du sujet. Le juge Bauman avait à choisir entre deux droits: le droit de certains musulmans et de certaines sectes (comme les Bountiful de Colombie-Britannique) de pratiquer la polygamie au nom de leur religion, et le droit des femmes à l'égalité. Il a choisi le second, en décrétant que la loi actuelle interdisant la polygamie est constitutionnelle.

Passons sur la justification religieuse de la polygamie, ce prétexte commode pour octroyer aux hommes, et à eux seuls, un droit de cuissage qui a l'avantage corollaire de rehausser leur statut social. On remarquera que l'équivalent pour les femmes (la polyandrie) n'existe pas, sinon dans certaines peuplades reculées.

Oui, il y a des femmes qui acceptent de vivre dans des mariages polygames, le plus souvent au prix d'infinies souffrances. Pensons au bouleversant témoignage de Rona, la première épouse de Mohammed Shafia écartée au profit d'une seconde épouse pour cause d'infertilité. Avant de mourir, elle avait confié à son journal les tourments que lui faisait vivre la cohabitation avec sa remplaçante. Dans une société civilisée, M. Shafia, s'il tenait à avoir des enfants, aurait divorcé de Rona en lui offrant un arrangement financier acceptable, et se serait ensuite remarié.

Il se peut que certaines femmes vivent joyeusement cette condition dégradante parce qu'on leur a lessivé le cerveau depuis leur tendre enfance. Ce n'est pas une raison pour que le Canada accepte de se plier à des coutumes qui reposent sur l'exploitation éhontée de la femme.

Hélas, l'affaire n'est pas réglée. Cette cour britanno-colombienne, malgré son titre, n'est qu'une cour d'appel et le litige aboutira sans doute éventuellement devant la Cour suprême... dont on espère qu'elle s'abstiendra de tomber dans la mare d'un multiculturalisme dévoyé.