Ne parlons pas de fédéralisme renouvelé - un concept galvaudé qui n'est pas à l'ordre du jour. Parlons plutôt de fédéralisme intelligent. Deux ou trois indices laissent croire que les Canadiens vont peut-être apprendre à pratiquer le fédéralisme comme des adultes.

Premier indice: l'exceptionnelle démarche du ministre de la Justice Jean-Marc Fournier, qui est allé proposer à Ottawa une série d'amendements au projet de loi C-10, particulièrement au chapitre des jeunes contrevenants... et qui doit rencontrer aujourd'hui son homologue fédéral, le ministre Rob Nicholson, pour réitérer ses objections et ses recommandations.

Voilà une attitude constructive qui tranche drôlement avec la façon dont Québec gère ses rapports avec le gouvernement fédéral, et ce, même sous les libéraux. Jusqu'ici, on a vu se répéter ad nauseam le même scénario lassant: à grand renfort de menaces et de lamentations, le Québec réclame de l'argent, joue les indignés quand il n'en reçoit pas assez, et quand il reçoit sa part du gâteau, se retire dans ses terres, indifférent à ce qui se passe ailleurs au Canada.

C'est la première fois, sauf erreur, qu'un ministre québécois rompt avec ce scénario humiliant, qui a donné au Québec une image d'enfant gâté jamais content.

Posément, dans un mémoire bien préparé, et avec des arguments rationnels, M. Fournier a fait valoir en comité parlementaire son opinion sur le projet de loi sur la criminalité, de même que l'expérience québécoise en matière de réhabilitation.

Il ne fallait pas s'attendre à ce que le gouvernement Harper, maintenant majoritaire, batte en retraite sur ce sujet pour lui prioritaire. Mais comme le disait le reporter du Globe and Mail Daniel Leblanc à Radio-Canada, la prestation de M. Fournier a impressionné tout le monde à Ottawa, et les idées défendues par Québec vont faire leur petit bonhomme de chemin.

Second indice: à l'autre bout du pays, pendant ce temps, s'élève une nouvelle voix albertaine. La première ministre élue, Alison Redford, toute conservatrice soit-elle, rompt elle aussi une longue tradition isolationniste, et avec l'orgueilleuse arrogance de la part de la province la plus riche, celle qui, par son expansion phénoménale, alimente la caisse de la péréquation.

Elle a confié à plusieurs médias son intention d'être plus «présente» dans les débats canadiens, et plus attentive aux critiques soulevées contre l'exploitation des sables bitumineux. Elle tend la main à l'Ontario, frappé de plein fouet par l'effondrement de son industrie manufacturière, pour l'aider à devenir un acteur majeur des nouvelles industries énergétiques, saluant au passage son implication dans le développement de l'énergie solaire et éolienne.

Mme Redford est une «red Tory» bilingue qui a milité dans l'ancien Parti conservateur des Clark et des Mulroney, et est une amie personnelle de Jean Charest. Elle aussi aurait préféré, pour le projet de loi sur la criminalité, une approche davantage basée sur la prévention. Les observateurs la disent plus proche de l'ancien premier ministre Peter Lougheed que de ses successeurs, au sens où, loin d'être exclusivement centrée sur l'Alberta, elle tient compte des intérêts de l'ensemble du pays.

C'est une attitude qui serait venue tout naturellement à Jean Charest, s'il ne s'était pas senti obligé, pour des raisons électorales, d'adopter l'idéologie frileuse et purement défensive d'un Robert Bourassa, lequel n'a jamais vu le Canada autrement que comme un distributeur de billets verts.

Le fédéralisme est un système peu «sexy» qui repose sur des compromis et des échanges, sur la raison plutôt que sur les sentiments. Puisque, semble-t-il, la population québécoise a tacitement décidé de rester dans la fédération, pourquoi ne pas jouer le jeu en adulte?