C'était écrit dans le ciel - le ciel d'Allah. La Tunisie et la Libye sont toutes deux tombées, quoiqu'à des degrés d'intensité différents, aux mains des islamistes.

Au moment même où le président du nouveau gouvernement libyen, Moustapha Abdelhajil, annonçait le règne de la charia et le retour de la polygamie, en Tunisie, le parti Ennahda, qui se définit comme un parti islamiste « modéré » (on verra à l'usage), s'avérait comme le grand vainqueur de ces premières élections libres, avec près de 40 % des suffrages.

Les grandes perdantes de ces « révolutions » confisquées seront évidemment les femmes - les Tunisiennes, qui étaient jusqu'ici les femmes les plus libérées du monde arabe, et les Libyennes, qui bénéficiaient sous la dictature de Kadhafi de plus de droits qu'elles n'en auront sous le régime que l'OTAN vient de mettre au pouvoir à Tripoli.

Kadhafi avait deux faces, celle d'un despote excentrique et sanguinaire, longtemps parrain du terrorisme international, et celle d'un modernisateur ennemi de l'obscurantisme religieux.

Il avait aboli la polygamie, et les femmes, en Libye, n'étaient pas tenues de se voiler ; elles avaient accès égal à l'instruction et à divers rôles dans la sphère publique. Mais le nouveau maître du pays a été clair : toute loi qui ne respecterait pas la charia (la loi islamique qui régit les moeurs publiques et la vie privée du lever au coucher) sera abolie, et le nouveau régime passera tôt à l'action, notamment en ce qui concerne les lois sur le mariage et le divorce.

Retour, donc, de la polygamie, de la répudiation arbitraire de l'épouse, de l'autorité absolue du père sur le mariage de ses filles, et des règles concernant l'héritage, la fille n'obtenant que la moitié de la part dévolue à son frère...

En Tunisie, le parti qui détiendra les rênes du pouvoir se dit partisan d'un islamisme « à la turque », mais nombre de signaux annoncent autre chose. De nombreuses femmes confient à la presse internationale leur désarroi devant la montée d'un fanatisme de la « rue » : des radicaux intimident les femmes non-voilées dans les transports publics, veulent les expulser des cafés... car derrière le discours policé d'Ennahda, s'agitent les extrémistes salafistes, qui viennent de donner une démonstration de force en réclamant violemment la fermeture de la chaîne télévisée qui avait diffusé le documentaire animé Persépolis, qui critique les mollahs iraniens.

La victoire électorale d'Ennahda était prévue, dans la mesure où les islamistes constituaient, dans ce pays où les institutions de la société civile ont été atomisées par la dictature de Ben Ali, la seule force politique organisée. Mais des sondages inquiétants dont faisait état hier le collègue Serge Truffaut du Devoir, montrent que la Tunisie, dans ses tréfonds, n'est peut-être pas la société séculière que l'on imaginait à partir de ses élites éduquées et cosmopolites.

Selon ces sondages effectués en mai dernier, 61 % de la population souhaitaient que les préceptes de la charia soient enseignés dans les écoles... et 60 % souhaitaient également interdire la liberté d'expression, histoire d'empêcher les blasphèmes contre l'Islam et le Prophète.

Ceux-là auront bientôt l'occasion de se réjouir, car la rumeur veut qu'Ennahda s'accapare du ministère de l'Education, en laissant à des coalitions laïques, moins susceptibles d'effrayer les investisseurs étrangers, la direction des ministères économiques. Les laïcs, autrement dit, hériteraient de la tâche ingrate de créer les emplois qui manquent par milliers dans le pays, et de ramener les touristes que les troubles du printemps dernier avaient fait fuir. Pendant ce temps, les islamistes, par l'école, régneraient sur les coeurs et les esprits et, avec leurs alliés de la rue, régiraient les moeurs...