Le scénario avait été minutieusement orchestré. Aucun imprévu ne risquait de se produire, puisque l'intervieweuse était Claire Chazal, une grande amie d'Anne Sinclair.

Comme l'écrivait hier Libération, ce fut «une superproduction mise en place par TF1 au service de Dominique Strauss-Kahn.» Pour l'éthique journalistique, on repassera. L'exercice de manipulation a eu beau tenir du grand art, il risque toutefois de faire long feu.

DSK et ses communicants ont multiplié les petites phrases destinées à lui attirer le pardon du public - «une faute morale» ... «une légèreté perdue pour toujours» ... Ils ont orchestré des moments dramatiques: «J'ai été humilié, broyé...» (À ce moment précis, gros plan sur son poing fermé puis sur son regard douloureux; le caméraman a réagi à la seconde près, car c'était dans le scénario.)

Mais DSK n'est pas fait pour jouer longtemps le rôle de la victime. La colère perçait, et surtout l'arrogance. Comme s'il n'arrivait pas à comprendre comment on a pu lui faire «ça», à lui!

Il a commencé par pervertir le sens de la décision du procureur Vance en laissant croire qu'il a été blanchi. Faux, archifaux. Vance a simplement déduit, du comportement erratique de Mme Diallo, qu'il ne pouvait pas se reposer sur son témoignage pour obtenir le verdict unanime de douze jurés.

Sans l'ombre d'une preuve, et alors que cette possibilité a été écartée après avoir été examinée sous tous les angles pendant quatre mois, il laisse entendre qu'il y a eu «piège» ou «complot» contre lui. Oh le méchant Sofitel!

Pire, il en rajoute contre la pauvre fille dont la vie a été brisée, en affirmant méchamment, sur la foi de sa fameuse conversation téléphonique, qu'elle aurait monté l'affaire par pure cupidité. DSK aurait dû avoir la dignité élémentaire de s'abstenir de dénigrer une femme de chambre que le procureur Vance avait déjà qualifiée de menteuse. Mais l'arrogance, encore et toujours l'arrogance du puissant qui se croit tout permis...

Il ne fallait pas compter sur Claire Chazal pour poser la question, mais il y en a une qui me taraude. DSK affirme que sa rencontre sexuelle avec Mme Diallo a été consentie, et qu'elle n'était pas tarifée. La femme de chambre, autrement dit, aurait offert ses services sexuels gracieusement.

Expliquez-moi pourquoi cette jeune femme aurait gentiment accepté de lui faire une fellation sans rien recevoir en retour. Faudrait-il croire qu'elle aurait été subitement saisie d'un désir irrépressible à son endroit? Qu'elle aurait été honorée de pouvoir faire une fellation au grand homme? Allons donc!

Seules deux raisons expliqueraient que Mme Diallo se soit exécutée de plein gré: la nymphomanie ou l'appât du gain. Mme Diallo n'a pas le profil d'une nymphomane mais il reste possible qu'elle se soit attendue à être dédommagée en argent pour cette faveur sexuelle, à supposer que DSK dise vrai en soutenant qu'il ne l'a pas forcée physiquement.

Il faut aussi savoir ce que l'on entend par le mot «contrainte». Une femme de chambre noire et immigrée peut fort bien s'être sentie contrainte de se plier au désir du locataire de cette suite luxueuse, et ce, même s'il ne la violentait pas. Le déséquilibre des rôles était tel que la contrainte logeait au coeur même de la situation.

C'est un aspect que Le Monde, pas plus impressionné que les autres quotidiens français par la prestation télévisée de DSK, soulignait hier sans ambages: «Comment une relation de neuf minutes non tarifée entre un homme aisé et une femme de chambre peut-elle avoir eu lieu sans une forme de contrainte?»