Jack Layton aurait-il dû divulguer la vérité sur son état de santé avant les élections? La question est délicate, mais elle se pose avec une acuité particulière au Québec, parce que c'est la seule province où l'électorat a voté essentiellement pour le chef.

Les Québécois n'ont pas voté pour le NPD, un parti qu'ils avaient toujours ignoré. Ils n'ont certainement pas voté pour les candidats néo-démocrates locaux, que personne ne connaissait et dont certains étaient d'invisibles extra-terrestres, comme la pauvre Ruth-Ellen Brosseau. Dans les autres provinces, où le NPD a de solides racines, la personnalité du chef a beaucoup moins compté.

Certes, les Québécois ont voté pour le «changement» parce qu'ils en avaient assez des complaintes répétitives du Bloc québécois. Certes, ils ont voté pour les grandes lignes d'un programme «social-démocrate» qui ne leur déplaisait pas, encore que l'on puisse douter du sérieux de cette motivation, quand on les voit maintenant s'amouracher de François Legault, dont les positions sont à l'opposé. Quoi qu'il en soit, il est indéniable que le facteur à l'origine de la vague orange a été la popularité personnelle de Jack Layton.

Donc, le 2 mai, vote massif pour le bien-aimé «Jack». Deux mois plus tard, le chef de l'opposition se retire pour raisons de santé et moins de quatre mois plus tard, il est disparu. Si M. Layton avait été franc, le résultat de l'élection aurait-il été différent? Fort probablement.

Mon collègue Patrick Lagacé, en tout cas, n'en doute pas: «Il n'est pas du domaine de la science-fiction de penser que M. Layton s'est présenté devant les Canadiens en sachant que le crabe rongeait ses os. J'estime que nous avions le droit de le savoir. Ça aurait changé le vote de milliers de gens, c'est évident. Et c'est quelqu'un qui a voté NPD qui vous le dit.»

Toute la question est de savoir quand le chef néo-démocrate a su qu'il était victime d'un nouveau cancer. C'est en mars, donc bien avant la campagne, qu'il a subi une fracture à la hanche, une fracture qu'il a toujours refusé d'expliquer mais dont ses médecins lui ont sans doute expliqué qu'elle pouvait être le signe que son cancer de la prostate avait métastasé. (C'est une réalité que tous les professionnels de la santé connaissent, tant il est vrai que dans des cas rares, le cancer de la prostate s'étend aux os.)

Sa veuve Olivia Chow affirme qu'il allait parfaitement bien durant la campagne, mais il est permis de croire que sa vitalité était due au niveau d'adrénaline et que le cancer continuait ses ravages en sourdine, puisque dès son arrivée à Stornoway, M. Layton n'était plus que l'ombre de lui-même.

Mme Chow refuse de révéler de quelle sorte de cancer terminal souffrait son mari. C'est son droit. Mais elle aurait au moins pu s'abstenir de se justifier en prétendant qu'une telle divulgation affecterait les patients atteints du même mal. Ce paternalisme est de mauvais aloi. Les malades du cancer ne sont pas des enfants. Ils savent très bien qu'aucun cas n'est identique à un autre.

Je comprends que M. Layton ait pu choisir d'être optimiste envers et contre tout et de donner une chance à la nature et à sa bonne étoile. S'il en avait dit davantage sur son dossier médical, il aurait été obligé de démissionner sur-le-champ; le NPD aurait été précipité dans une course au leadership à la veille d'élections anticipées. D'ailleurs, pour un homme comme lui, y avait-il meilleure thérapie que l'investissement corps et âme dans une campagne électorale? Hélas, c'était une thérapie fugace.