Il est difficile d'imaginer pire chute que celle de Dominique Strauss-Kahn.

Il est difficile d'imaginer pire chute que celle de Dominique Strauss-Kahn.

Samedi matin, il était encore au faîte de sa gloire. En ces temps de crise financière mondiale, le patron du FMI n'est-il pas l'homme le plus puissant au monde? Dans sa mire brillaient les ors de l'Élysée. Moins de deux jours plus tard, il était assis sur un banc de bois du tribunal pénal de New York, à côté de deux petits dealers de crack.

Il n'aura même pas pu vider lui-même son bureau au FMI, et l'Élysée n'est plus qu'un rêve souillé par une très sale histoire d'agression sexuelle.

Dans la salle minable du tribunal, DSK a attendu pendant des heures son tour de comparaître. Il n'était plus qu'un «justiciable ordinaire», comme s'en scandalise l'écrivain Bernard-Henri Lévy, qui n'a pas compris que dans une authentique démocratie, tous les justiciables sont traités sur le même pied, et tant pis pour ceux dont la notoriété leur attire plus de curiosité médiatique. C'est la rançon de la gloire, de la richesse et du succès: plus on est placé haut dans l'échelle sociale, plus la chute est dure.

Et Dieu sait qu'il était haut placé, DSK. Auréolé du prestige de sa fonction au FMI, il était le plus populaire des candidats potentiels à la présidence, gauche et droite confondues, et le socialiste qui avait le plus de chances de défaire le président Sarkozy.

Pour en arriver là, DSK et ses nombreux alliés avaient mis en marche une énorme machine sophistiquée qui allait paver la voie à sa campagne et maintenir son nom à l'avant-plan de l'actualité sans que le patron du FMI, lié par le devoir de réserve, annonce publiquement ses intentions. Cela, à coup de fuites savamment calculées et de petites phrases codées, incluant le blogue de sa femme («Je ne souhaite pas que mon mari fasse un second mandat au FMI»...). Il comptait se déclarer le plus tard possible, à l'ouverture des primaires socialistes, début juillet.

L'influent cabinet de relations publiques RSCG travaillait pour lui à plein temps. Ces dernières semaines, la campagne médiatique s'était intensifiée. Tous les magazines, de Paris Match au Point, publiaient de longs portraits flatteurs, agrémentés de photos illustrant la merveilleuse complicité qui existait entre lui et sa femme, histoire de combattre sa réputation de coureur de jupons.

Il pouvait même compter sur Le Monde, le journal le plus influent de l'Hexagone, qui appartient maintenant à un trio de riches hommes d'affaires dont deux, Mathieu Pigasse, de la banque Lazard, et Pierre Bergé, ancien compagnon d'Yves Saint-Laurent, comptaient parmi ses plus ardents partisans. Une biographie complaisante de Michel Taubmann, Le roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, venait d'arriver en librairie.

Ces derniers temps, DSK avait commencé à mettre la pression sur son principal adversaire, François Hollande, en l'engageant à se retirer de la course pour ne pas diviser le parti. Il avait aussi commencé à convoquer en privé, lors de ses fréquents séjours en France, les élus de poids, maires, députés ou conseillers régionaux, qui n'avaient pas encore prêté leur serment d'allégeance, histoire de leur laisser savoir qu'ils avaient intérêt à se brancher très bientôt s'ils voulaient être aux premières loges de son futur gouvernement.

Tout cela s'est écroulé dans la suite 2806 du Sofitel. Si cette histoire s'avère, l'homme le plus puissant du monde sera tombé à cause d'une humble immigrante africaine qui ignorait qui était DSK, mais qui n'a pas supporté d'être traitée comme du bétail.