On a beaucoup reproché aux conservateurs d'avoir amorcé la campagne électorale avec des arguments de peur, notamment en brandissant le spectre d'une «coalition broche à foin» et en prédisant le chaos s'ils n'étaient pas reportés au pouvoir.

On a beaucoup reproché aux conservateurs d'avoir amorcé la campagne électorale avec des arguments de peur, notamment en brandissant le spectre d'une «coalition broche à foin» et en prédisant le chaos s'ils n'étaient pas reportés au pouvoir.

Eh bien, les libéraux sont en train de faire exactement pareil. La dernière publicité libérale accuse carrément les conservateurs et Stephen Harper de vouloir mettre la loi canadienne de la santé aux poubelles et de vouloir implanter au Canada un système de santé à l'américaine, pour conclure que «seuls les libéraux peuvent protéger les soins de santé».

C'est le cas-type d'une campagne de peur, qui frappe en bas de la ceinture. Parce qu'en évoquant une menace sur le système de santé, on joue sur les émotions. Encore plus au Canada où le système de santé public revêt un caractère sacré. Et parce que rien ne permet d'étayer ces accusations.

Stephen Harper en est à sa quatrième campagne comme chef du Parti conservateur du Canada. À chacune d'entre elles, il s'est engagé à protéger l'intégrité du système public canadien. Il a dirigé deux gouvernements qui n'ont posé aucun geste pour affaiblir ce système. Il a maintenu le financement aux provinces pour la santé mis en place par ses prédécesseurs libéraux. Et cette année, il a promis et re-promis que la lutte au déficit épargnerait la santé.

Pour justifier leurs accusations, les libéraux doivent ressortir la menace d'un programme politique caché, attribuer, à tort, de vieilles citations à M. Harper, faire comme si les élucubrations de Maxime Bernier sont des positions du PCC, ou encore insinuer que les 11 milliards de dollars de compressions que promettent les conservateurs sans en préciser la nature menacent en fait la santé. Ce n'est ni élégant, ni convaincant. Et cela semble trahir le désespoir d'un parti qui sort ses dernières munitions.

Ces attaques sont inacceptables sur la forme. Elles sont également troublantes sur le fond. Avec ces accusations, Michael Ignatieff ne parle pas vraiment de santé, de soins, de patients. Il joue la carte de l'idéologie en disant que le système de soins de santé publics est «au coeur de l'identité canadienne». En ce faisant, il s'inscrit dans la tradition libérale, puisque c'est ce parti qui a sacralisé le système de la santé et l'a codifié dans une loi.

Mais c'est plus gênant de jouer sur ce registre en 2011, parce que ce sont ces appels aux valeurs identitaires qui rendent impossibles des débats intelligents sur la santé dans une campagne électorale fédérale, en forçant chaque parti à faire des professions de foi sur l'intégrité du système qui assurent sa paralysie et remettent à plus tard une réflexion incontournable.

C'est dans cette logique que M. Ignatieff promet solennellement aux provinces que les transferts fédéraux en santé continueront d'augmenter de 6% par année. C'est beau sur papier.

Comme par hasard, il y a moins de deux semaines, l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, signait une étude de l'Institut C.D. Howe qui mesurait justement l'impact d'une hausse annuelle de 6%. D'ici 20 ans, les dépenses en santé par habitant passeraient de 4900$ à 10 700$ une fois qu'on enlève les effets de l'inflation, et leur total passerait de 12% à 18% du PIB.

Cela nous mène tout droit à une impasse, qu'il faudra résoudre, soit en repensant radicalement les modes de gestion, soit en alourdissant le fardeau fiscal, soit en sacrifiant d'autres missions de l'État, soit en réduisant la qualité des services. Il faudra faire des changements, trouver des solutions, qui ne seront pas simples. Plutôt que les arguments de peur, c'est de cela qu'il faudrait parler pour aborder les enjeux de santé de façon adulte.