La politique internationale n'est jamais un thème dans les élections canadiennes. Cette année, l'omission est d'autant plus fâcheuse que le Canada est présentement engagé dans deux guerres.

La mission de combat en Afghanistan prendra fin cet été, mais d'ici à 2014, le Canada maintiendra 950 militaires en sol afghan pour assurer la formation de l'armée afghane - une opération qui risque d'être aussi meurtrière, pour nos soldats, que les patrouilles autour de Kandahar.

Or, c'est sans consulter le Parlement que le gouvernement a prolongé de trois ans la durée de cette dernière mission.

Pour sa soi-disant mission de paix en Libye - une mission qui constitue en réalité une ingérence dans une guerre civile -, le Canada a dépêché 435 militaires, 6 avions chasseurs F-18 (de même que les 150 appareils nécessaires à leur fonctionnement), 2 avions de surveillance Aurora, 2 avions de ravitaillement, 2 transporteurs C-17 et 2 C-30, de même qu'une frégate qui patrouille en Méditerranée.

Ce dernier engagement n'a jamais fait l'objet d'un vrai débat parlementaire, car les partis de l'opposition se sont tous ralliés d'emblée à la décision gouvernementale.

Première question: combien coûte l'engagement en Libye? Pourquoi le ministère de la Défense refuse-t-il de dévoiler les chiffres? On ne sait même pas quand le Ministère rendra compte aux contribuables canadiens.

Cette politique cachottière est d'autant plus grave que l'intervention de la coalition s'est enlisée, et qu'à moins d'une solution politique pour l'instant peu probable, on s'oriente vers un long conflit qu'une source du ministère, interviewée par le National Post, évalue en termes de mois.

Selon le sénateur libéral Colin Kenney, le mutisme du ministère de la Défense s'explique par des pressions politiques. Quand on connaît la culture de secret du gouvernement Harper, l'hypothèse est plus que vraisemblable.

Aux États-Unis, on est plus ouvert, et les révélations du secrétaire à la Défense Robert Gates peuvent nous donner un ordre de grandeur. Pour la première semaine, la facture des opérations américaines s'est élevée à 550 millions US. Les États-Unis ayant depuis réduit leur participation, M. Gates s'attend à dépenser 40 millions par mois. (À quoi il faut évidemment ajouter la contribution des États-Unis et du Canada à l'OTAN, désormais maître d'oeuvre des opérations).

Il y a d'autres questions plus graves, que l'opposition n'a jamais posées, puisque les partis de l'opposition ont approuvé l'intervention en Libye sans manifester une once d'esprit critique.

Pourquoi le Canada a-t-il mis sa puissance de feu au service d'un groupe d'insurgés incapables de mener ses propres combats, un groupe dont on connaît peu de choses, et dont on ne peut mesurer la représentativité réelle, dans une société tribale fractionnée en clans régionaux? Pourquoi cet engagement précipité, alors que les gouvernements avaient en mains des rapports sérieux indiquant que Benghazi est le principal foyer des djihadistes libyens proches d'Al-Qaïda?

Quel était l'objectif du Canada? Prévenir le massacre des insurgés? Renverser le régime Kadhafi? Installer les insurgés de Benghazi au pouvoir à Tripoli? Imposer un cessez-le-feu au risque d'aboutir à la partition du pays? Tout indique que le Canada s'est jeté dans ce guêpier les yeux fermés.

Si, comme l'envisagent certains gouvernements de la coalition, cette intervention débouche sur une offensive au sol, avec guérilla urbaine et enlisement définitif dans les sables libyens, que fera le Canada?

Dimanche, pressé par les journalistes, Michael Ignatieff est sorti de son mutisme et a déclaré qu'il s'opposerait à une offensive au sol... MM. Layton et Duceppe, quant à eux, se contentent de dire que toute prolongation de la mission devrait être débattue au parlement. Ce qui ne veut rien dire, puisque le parlement ne siégera pas de sitôt!