Loin d'être une simple intervention humanitaire destinée à protéger des civils innocents, l'offensive des pays occidentaux en Libye représente une immixtion dans une guerre civile, laquelle pourrait avoir des retombées dangereuses sur leurs propres populations.

Loin d'être une simple intervention humanitaire destinée à protéger des civils innocents, l'offensive des pays occidentaux en Libye représente une immixtion dans une guerre civile, laquelle pourrait avoir des retombées dangereuses sur leurs propres populations.

La précipitation avec laquelle le président Sarkozy a reconnu les insurgés de Benghazi comme «seuls représentants légitimes du peuple libyen» - le point de départ de cette guerre hasardeuse - était totalement irresponsable.

Rien ne prouve que ces insurgés représentent une majorité de Libyens. On n'a pas encore vu l'insurrection s'étendre, même si les bombardements de la coalition étaient de nature à favoriser son extension.

La peur joue sûrement, après la brutale répression des manifestations à Tripoli et les avertissements sanglants du «Guide». Mais ne sous-estimons pas ce dernier: en 40 ans de règne, ce politicien roué a su s'assurer bien des loyautés. La réalité, c'est que jusqu'à présent, le «peuple» ne s'est pas soulevé et que jusqu'à preuve du contraire, l'on ne peut prétendre qu'une majorité de Libyens souhaite voir les tribus de la Cyrénaïque prendre le pouvoir à Tripoli, ni qu'une majorité souhaitait l'intervention occidentale (car c'est bien de cela qu'il s'agit, les pays arabo-musulmans étant à toutes fins utiles absents du tableau).

En outre, loin de se contenter de manifester, les contestataires de Benghazi ont très vite commencé à marcher sur Tripoli dans l'intention de renverser le régime en place - une stratégie de têtes brûlées qui aurait été vouée à l'échec n'eût été de l'intervention providentielle de l'étranger. Certes, c'étaient pour la plupart des amateurs dotés d'un armement obsolète, et parmi eux l'on comptait peu de militaires professionnels. Mais quand on prend les armes contre le pouvoir, on n'est plus des civils, on devient des combattants. Appartenait-il à l'Occident de prendre parti, dans cette guerre civile, en faveur d'un groupe armé dont on connaît d'ailleurs fort peu les motivations et la composition?

Comme l'écrivait hier dans Le Monde Jean-Christophe Ruffin, ancien ambassadeur de France à Dakar et ex-vice-président de Médecins sans frontières, «nous sommes de fait engagés dans des combats terrestres, même si nous frappons, pour l'instant, depuis le ciel. Nous lançons des opérations militaires destructrices contre un pays qui ne nous a pas attaqués et qui ne menace pas nos intérêts». Comme en Irak, souligne-t-il, en se demandant fort opportunément si le recours au droit d'ingérence est «moins dangereux quand c'est la France qui l'applique».

Tout le monde s'entend: Kadhafi est un dictateur sanguinaire, mais là n'est pas la question. Comme on le disait à propos de Saddam Hussein, s'il fallait abattre tous les tyrans de la planète, on serait perpétuellement en guerre. En fait, et c'est l'ironie de l'affaire, depuis 10 ans, Kadhafi était devenu pour la communauté internationale un interlocuteur beaucoup moins dangereux qu'à l'époque où il était le commanditaire principal du terrorisme international... un rôle qu'il pourrait bien reprendre demain, toutefois, si la coalition occidentale échoue à le renverser.

Dans ce cas, la vengeance sera terrible. Kadhafi lâchera ses terroristes sur ceux qui l'ont attaqué - la France d'abord, mais aussi le reste de la coalition, incluant le Canada.

Le colonel a d'ailleurs amorcé sa vengeance en rompant les ententes qu'il avait conclues avec l'Italie pour prévenir l'immigration illégale. Demain, des milliers de Libyens s'ajouteront aux milliers de clandestins nord-africains qui sont actuellement dans le sud de l'Italie dans l'espoir de passer en France (une situation qui a beaucoup favorisé la montée du FN de Marine Le Pen). Le président Sarkozy pourrait bientôt regretter son coup d'éclat en faveur des combattants de Benghazi.