Je vis comme tout le monde à l'heure du Japon, au rythme de l'effroyable catastrophe qui s'abat sur l'archipel. Mais comme autant de dérisoires contrepoids à l'horreur présente, des images affluent à ma mémoire, images souriantes et paisibles tirées de trois voyages chez cet admirable peuple.

Je vis comme tout le monde à l'heure du Japon, au rythme de l'effroyable catastrophe qui s'abat sur l'archipel. Mais comme autant de dérisoires contrepoids à l'horreur présente, des images affluent à ma mémoire, images souriantes et paisibles tirées de trois voyages chez cet admirable peuple.

Ogimachi, un village de montagne. Il pleut à boire debout et l'autocar pour Kanasawa, tout au nord, sera en retard. Un quatuor d'ingénieurs logé à la même auberge nous propose de nous y emmener en voiture. Le trajet est difficile, sur les chemins boueux de montagne. Rendus à Kanasawa, nous croyons nos hôtes arrivés, eux aussi, à destination... Mais non, ils doivent aller plus à l'est. Ils ont fait un détour d'une centaine de kilomètres pour nous rendre service.

L'honnêteté, la courtoisie. À la gare, on laisse sa valise sur le quai pour aller déjeuner, personne ne la prendra. Au Japon, ne comptez pas la monnaie que vous rend le commerçant, ne vérifiez pas les additions, c'est inutile. Ne nous étonnons pas de voir que les magasins n'ont pas été pillés après le séisme, comme cela aurait été le cas presque partout ailleurs.

L'efficacité, le culte de la qualité. En 1981, le métro de Tokyo était plus automatisé que celui de Montréal aujourd'hui. Les TGV japonais s'arrêtent à l'heure prévue à la seconde près, et à l'endroit prévu au centimètre près. Les Japonais n'importent que ce qu'il y a de mieux : le meilleur porc, les meilleures amandes, le meilleur café au monde. Ils n'utilisent que les meilleurs produits électroniques (les leurs). Dans les petits bars à whisky où chaque habitué a sa propre bouteille, les glaçons sont étonnamment transparents: ils sont faits avec de l'eau distillée!

Le raffinement esthétique, la sobriété. La partie la plus luxueuse du kimono n'est pas celle qui paraît, c'est la doublure. La plus belle partie d'un bol traditionnel n'est pas l'extérieur mais le fond, que vous serez seul à voir une fois votre thé bu. La moindre babiole, on vous l'emballera avec d'infinies précautions, comme un objet précieux. À Kyoto, des artisans vendent des balais et des brosses fabriqués à la main: les crins, la paille, le bois, la corde, tout, dans ces humbles articles de ménage, a été travaillé à la perfection.

Au zoo de Tokyo, un employé affecté à la cage des ours compose machinalement les aliments comme un tableau, plaçant dans l'écuelle, par petits tas artistiquement répartis, des légumes verts, des carottes coupées à l'oblique, des morceaux de patates d'égale dimension...

Je devrais mettre les verbes au passé. Ou alors au futur, car le Japon, ce modèle de résilience et de stoïcisme face aux pires adversités, se relèvera, c'est sûr. Mais quand, et au prix de quelles souffrances?

En attendant, il nous offre le spectacle rare de l'héroïsme. Celui, par exemple, de la cinquantaine d'employés restés en poste à la centrale de Fukushima, qui mettent leur vie en danger pour en sauver d'autres. Exposés à des niveaux de radioactivité extrêmement toxiques, ils injectent de l'eau dans les réacteurs pour tenter d'éviter la fusion.

En France, où 78% de l'électricité provient du nucléaire, ce seraient des volontaires qui effectueraient ces tâches advenant une telle catastrophe. Or, dans chaque centrale française, il se trouve des employés pour s'inscrire sur une liste pré-établie, prêts à être conscrits en cas d'urgence - signe que la solidarité et la bravoure existent, n'en déplaise aux cyniques.

Ces nouveaux kamikazes japonais sont-ils des volontaires? On l'ignore, mais cela ne serait pas surprenant, dans un pays où le sens du devoir et la conformité aux valeurs collectives transcendent les intérêts individuels.