Le vent de colère a maintenant atteint la Jordanie, l'Algérie et la Syrie, quoiqu'à des degrés bien moindres qu'en Tunisie ou en Égypte, mais quand même assez pour que les régimes en place se sentent forcés de faire quelques concessions.

Le vent de colère a maintenant atteint la Jordanie, l'Algérie et la Syrie, quoiqu'à des degrés bien moindres qu'en Tunisie ou en Égypte, mais quand même assez pour que les régimes en place se sentent forcés de faire quelques concessions.

Ces secousses qui commencent à ébranler une bonne partie du monde arabe laissent entrevoir divers scénarios, dont le plus inquiétant, compte tenu du fait que partout, les seules forces d'opposition organisées sont des partis islamistes, serait le basculement du Maghreb et du Moyen-Orient dans l'intégrisme islamiste.

Un tel scénario entraînerait la dégradation des relations avec l'Occident, l'isolement total d'Israël, l'annulation du traité de paix conclu en 1979 entre l'Égypte et Israël - un traité qui formait le socle d'une paix relative, mais que les Frères musulmans égyptiens veulent depuis toujours déchirer - et, bien sûr, la fin des espoirs, pourtant déjà bien ténus, d'un règlement du conflit israélo-palestinien.

Ce n'est pas par hasard que l'ayatollah Khameini, en Iran, applaudissait l'autre jour aux manifestations égyptiennes, qui «signeront la défaite finale des États-Unis et de l'ennemi sioniste».

Ce n'est pas non plus par hasard que Mahmoud Abbas voit avec suspicion l'Égypte s'embraser, l'Autorité palestinienne sachant fort bien que l'islamisation croissante de la région poussera Israël, gauche et droite confondues, à se raidir contre toute concession aux Palestiniens et à développer plus que jamais une mentalité de camp retranché face aux menaces terroristes (dans ce scénario, le Hamas, la branche palestinienne des Frères musulmans, pourrait désormais s'appuyer sur le gouvernement du plus grand pays arabe!)

Il y a d'autres scénarios, dont le plus improbable serait la floraison de démocraties libérales où l'Islam serait ni plus ni moins présent que le christianisme en Europe. Un autre scénario, qui d'ailleurs se dessine en Égypte, serait le maintien d'un régime militaire, mais plus tolérant et plus réformiste que celui de Moubarak.

Un scénario intermédiaire serait l'instauration de régimes à la turque, sur le modèle de l'islamisme dit modéré du gouvernement Erdogan. En Tunisie, c'est ce que promet le chef du parti islamiste Ennadah, revenu triomphalement au pays de son exil londonien.

Mais que signifie ici la notion de «modéré»? L'AKP, le parti du premier ministre Erdogan, est né des zones rurales hostiles à la politique de laïcisation musclée instaurée par Kemal Atta Turk, quand la Turquie s'est reconstituée en pays moderne après la chute de l'Empire ottoman.

La montée de l'AKP s'est accompagnée d'une certaine libéralisation, stimulée par le désir de voir le pays admis dans l'union européenne, mais aussi par l'érosion graduelle des acquis de la révolution de Kemal Atta Turk. Les foulards sont revenus en force dans des lieux où l'on n'en voyait jamais il y a 20 ans, et l'arabe, langue sacrée du Coran, est désormais enseigné dans les écoles publiques. Cette politique d'arabisation est signe d'un virage idéologique, car, rappelons-le, la Turquie n'est pas un pays arabe.

C'est le même gouvernement, naguère le principal allié d'Israël, qui a parrainé l'expédition de la fameuse flottille pour Gaza, une opération qui avait été clairement annoncée comme une provocation pure et simple. La Turquie, depuis, a interdit l'utilisation de son espace aérien aux vols militaires israéliens.

De nombreux observateurs ont vu dans ce revirement spectaculaire le signe que la Turquie, dont l'Europe a, à toutes fins utiles, repoussé la candidature, s'éloigne de l'Occident avec l'objectif de devenir la puissance dominante du monde musulman. Cela passe par la nécessité de plaire à la «rue arabe», en flattant tous ses préjugés... dont le plus courant est la haine viscérale des Israéliens, et en instrumentalisant à cette fin la cause palestinienne.