Va-t-on accepter que Montréal serve de terre d'asile à la famille du président tunisien déchu? J'espère bien que non, encore que sur le plan juridique, l'affaire risque d'être assez compliquée, en tout cas de traîner en longueur.

Va-t-on accepter que Montréal serve de terre d'asile à la famille du président tunisien déchu? J'espère bien que non, encore que sur le plan juridique, l'affaire risque d'être assez compliquée, en tout cas de traîner en longueur.

On apprenait cette semaine que Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l'ex-président Ben Ali, a débarqué à bord d'un jet privé à l'aéroport Trudeau avec sa femme, ses quatre enfants et leur gouvernante. Frère aîné de la redoutable Leïla Ben Ali, Belhassen Trabelsi serait le maître d'oeuvre du réseau familial corrompu qui a si longtemps spolié la Tunisie.

Par ailleurs, le neveu de l'ancien président, Mohamed Sakher El Materi, est propriétaire d'une vaste demeure de pierres à Westmount évaluée à 2,5 millions de dollars. La maison est vide d'habitants, toutefois, depuis qu'elle a été identifiée par les médias.

Interdits de séjour en France et en Suisse, les membres de la famille du président déchu (ceux du moins qui ne sont pas en état d'arrestation en Tunisie) pourraient bien avoir le Québec dans leur viseur. Ce serait un refuge plus agréable que l'austère Arabie Saoudite où Ben Ali s'est réfugié en catastrophe. On ignore pour l'instant où sa femme Leïla s'est posée (dans les Émirats, peut-être?), emportant avec elle une tonne et demie d'or volé au trésor tunisien.

M. Trabelsi a été admis au Canada parce qu'il jouit du statut de résident permanent. Par ailleurs, l'épouse de M. El Materi est venue accoucher à Montréal, ce qui ipso facto donne à l'enfant la citoyenneté canadienne.

La citoyenneté canadienne comme police d'assurance en cas de malheur ou d'exode forcé, voilà qui n'est pas un phénomène nouveau.

Nombre de gens de Hong Kong ont afflué à Vancouver à titre d'immigrants investisseurs à l'époque où le rattachement de la cité-État à la Chine inspirait beaucoup de craintes.

Plus récemment, lors de la dernière guerre du Liban, on a vu des centaines de Libanais exiger d'autorité un rapatriement immédiat au Canada... dont ils avaient obtenu la citoyenneté sans par ailleurs quitter leur pays ensoleillé pour nos rudes hivers.

Formidable comme système, non? On reste chez soi bien tranquillement, avec, dans un coffret de sécurité, un passeport canadien qui pourra toujours servir en cas de pépin. Ce privilège n'est accessible, faut-il le préciser, qu'aux gens riches capables d'effectuer un investissement quelconque au Canada.

Sauf erreur, c'est la première fois, cependant, que ce privilège sert à la famille d'un dictateur, une famille que l'ambassadeur américain à Tunis décrivait en 2008, dans un câble dévoilé par Wikileaks, comme une organisation quasi mafieuse.

Le gouvernement provisoire tunisien a lancé un mandat d'arrêt international contre les Trabelsi pour détournement de fonds. Mais il n'est pas facile d'extrader des gens qui, en tant que résidents permanents, jouissent des mêmes droits que les citoyens (sauf le droit de vote). Le Canada pourrait toutefois leur retirer ce statut s'il était prouvé qu'ils n'ont pas vécu au moins deux des cinq dernières années au Canada (depuis l'affaire libanaise, Ottawa a en effet resserré les règles).

Le problème, c'est que les lois exagérément laxistes du Canada permettraient aux Trabelsi de réclamer le statut de réfugié, en multipliant les procédures d'appel. Ces manoeuvres dilatoires pourraient s'étaler sur des années.

Le Canada pourrait geler les actifs de la famille, ce qui réduirait ses moyens financiers et l'empêcherait au moins d'embaucher les stars du Barreau pour lutter contre la déportation ou l'extradition.

Un exploiteur n'est pas un réfugié. Que les Trabelsi aillent s'installer dans l'une des nombreuses dictatures du monde arabe où les gouvernants, sachant qu'ils pourraient un jour subir le même sort, seront sensibles à leurs malheurs.