À la suite de ma chronique de samedi sur le financement des partis politiques (voir Cyberpresse, section des «chroniqueurs»), j'ai reçu trois courriels très inquiétants.

Mme F., une femme professionnelle dont les compétences sont indéniables: «Il y a quelques mois, j'ai transmis mon CV avec une lettre faisant mention de mon intérêt pour un poste au conseil d'administration d'une société d'État. Je le regrette aujourd'hui. Heureusement qu'on n'a pas donné suite à mon offre de service, car j'imagine déjà mon nom dans les médias sous la mention «nomination d'une libérale»... On aurait rappelé les quelques dons que j'ai faits au parti depuis que j'ai pris ma retraite de la fonction publique, mais on n'aurait pas parlé de mes compétences professionnelles.»

Voilà où mène ce qui est en train de devenir une réaction franchement hystérique aux irrégularités qui se sont produites dans le financement des partis: des gens corrects et intègres craignent de se voir à jamais stigmatisés du simple fait d'avoir contribué, serait-ce dans la plus parfaite légalité, au financement d'un parti politique.

Deuxième courriel, d'un médecin de Brossard. «Si l'on veut réellement empêcher des récidives, il faut frapper au coeur de la maladie: par exemple, attribuer un dossier criminel à ceux qui donnent et reçoivent des cotisations illégales. Et pourquoi pas une peine minimale de prison?»

Voilà un bel exemple de sur-réaction. Le fait d'avoir contourné la Loi électorale vous placerait donc illico dans la catégorie des braqueurs de banque, des violeurs et des assassins? D'accord pour imposer de fortes amendes aux délinquants, mais les considérer comme des criminels bons pour la prison, n'est-ce pas complètement démesuré?

Troisième courriel, d'un monsieur P. «La solution la plus appropriée serait que la loi oblige tout individu désirant contribuer au financement d'un parti à acheminer sa contribution au ministère des Finances, lequel serait chargé de la redistribuer au parti concerné sans que le parti sache de qui provient la contribution.»

Bref, le don à l'aveugle. Bienvenue dans un monde désincarné, où tout rapport personnel entre un donateur et un militant politique est vu comme un prélude au crime. C'est faire fi de la nature humaine, car la plupart des gens aiment quand même s'entendre dire «merci» ou se voir gratifiés d'un sourire. Les rejeter dans l'anonymat, c'est les dissuader de donner, et c'est priver les partis d'une source de financement nécessaire à la vitalité de la démocratie. Ou alors, veut-on nous faire croire que tous les donateurs sont des entrepreneurs véreux en quête de contrats?

Remarquez, on n'est pas loin de s'orienter vers le système que prône monsieur P. Dans le projet de loi 113 sur le financement des partis, non seulement va-t-on plafonner les contributions à 1000$, mais les chèques seront adressés au Directeur général des élections, qui les remettra au destinataire. Le DGE pourra en outre consulter les dossiers de Revenu Québec pour examiner la probité des donateurs.

Pourquoi cette étape intermédiaire inutile et ces contrôles exorbitants? Pourquoi le gouvernement Charest cède-t-il sur toute la ligne aux recommandations d'un haut fonctionnaire soucieux d'agrandir son territoire?

Cerise sur le gâteau, les noms de tous les donateurs seront rendus publics même s'il s'agit d'un petit don de moins de 200$. Une massue pour tuer un moucheron!

Conséquences à prévoir: les partis recevront de moins en moins de dons... et ce sont les contribuables qui hériteront du fardeau de financer des partis politiques que la loi aura transformés en parasites de l'État. Le financement populaire sera chose du passé et ce sera très mauvais pour la démocratie.