On loue l'efficacité accrue du réseau d'autobus montréalais, de même que la courtoisie des chauffeurs, et je suis bien la première à m'en réjouir. Mais est-ce une raison pour imposer aux contribuables des abribus de millionnaires?

Taxer les automobilistes en fonction des émissions de leur véhicule, introduire le péage sur les ponts aux heures de pointe, encourager les transports collectifs, j'en suis. Mais il faut garder le sens de la mesure. Or, cette qualité semble s'être complètement perdue à Montréal. À preuve, l'importance absolument disproportionnée que nos édiles accordent aux pistes cyclables, dans une ville qui est aux prises avec le froid et la neige six mois par année.

Ces fameuses pistes sont quasiment vides même les jours de beau temps, et le Bixi, le diamant sur la couronne de nos édiles, est une entreprise déficitaire qui serait un fiasco si l'on n'avait réussi à vendre la formule à quelques villes étrangères. (Même dans le Plateau, haut lieu du talibanisme écologique, le plus récent sondage disponible montre que seulement 6% des résidants se déplacent habituellement à vélo!)

On a échappé au pire, le chef taliban étant maintenant écarté du comité exécutif de Montréal. On pourra enfin avoir un jour, après d'inutiles et coûteuses pertes de temps, un Turcot 2 conçu par et pour des adultes rationnels.

Mais voici maintenant un nouvel engouement de la Société des transports: les abribus «high tech».

On veut en implanter partout. L'idée est bonne, assurément, pour les mêmes raisons climatiques qui expliquent le peu de succès du vélo comme mode de déplacement quotidien au Québec. Mais pourquoi 14 millions pour des cubes de verre sophistiqués, équipés de capteurs qui mettront en marche un système d'éclairage automatique?

Pourquoi faut-il que ces nouveaux abribus coûtent deux fois plus cher que les anciens, soit de 14 000$ à 16 000$ chacun? Pourquoi ce luxe, dans une ville où le mobilier urbain est modeste et où les besoins essentiels (des rues bien pavées par exemple) ne sont même pas assurés? Dans une ville qui a le record de la pauvreté urbaine au Canada et dont l'administration est dans le rouge?

Comme l'écrit un collègue, c'est comme si, «au lieu de réduire le temps d'attente dans les urgences, le ministère de la Santé dépensait des millions pour équiper les salles d'attente de lazy-boy chauffants!»

Ah! Mais ce seront, dit le PDG de la STM, «des abribus design, pour une ville design».

Où est-ce qu'il a vu que Montréal était une ville «design», M. Labrecque? Cette caractéristique n'existe que dans la tête des publicitaires de l'administration municipale, il suffit de se promener à Montréal pour constater le contraire.

Autre chose. C'est sympa, un abribus qui vous protège de la neige et de la pluie, mais pas si vous devez le partager, dans des odeurs d'urine, avec des personnages qui y ont élu domicile avec chiens, sacs-poubelles et bouteilles de bière. Or, cela risque de se produire, d'autant plus qu'on compte y installer des bancs.

À Paris, il n'est pas rare de voir des gens attendre l'autobus sur le trottoir... parce que l'abribus a été squatté par des individus qui s'en servent pour cuver leur vin. Le métro de Paris a contourné ce problème en remplaçant les bancs par des sièges distants les uns des autres. Aussi serait-il opportun de prévoir des sièges plutôt que des bancs dans nos futurs abribus. Cela empêcherait au moins que les abribus servent de chambre à coucher à des gens qui ne prennent pas l'autobus. Il en va du confort et de la sécurité des usagers des transports en commun.