L'autre jour, le député libéral Denis Coderre annonçait son intérêt pour la mairie de Montréal. Tout le monde a ri, moi la première... Mais à bien y penser, cette idée n'est peut-être pas si saugrenue.

L'autre jour, le député libéral Denis Coderre annonçait son intérêt pour la mairie de Montréal. Tout le monde a ri, moi la première... Mais à bien y penser, cette idée n'est peut-être pas si saugrenue.

Régis Labeaume n'a pas plus de classe que Denis Coderre. Pourtant, les Montréalais crèvent d'envie par rapport à Québec. Dans leurs rêves les plus fous, ils imaginent un maire actif, terre-à-terre et vigoureux, capable de faire aboutir des projets concrets, et qui se battrait pour sa ville avec autant de vigueur que M. Labeaume.

Voyez ce qui se passe à Toronto. Au grand désespoir des élites, les citoyens pourraient bien, dans deux jours, donner le pouvoir à un populiste de droite qui se fiche de la rectitude politique (l'été dernier, il a scandalisé les beaux esprits en disant que Toronto ne pouvait absorber plus d'immigrants!). O horreur! O humiliation!, se pourrait-il que Toronto, dont ses habitants s'imaginent qu'elle est une «world class city», soit représentée par un pareil plouc?

Pourtant, la campagne municipale a été marquée par l'émergence de Rob Ford, un obscur conseiller d'Étobicoke. Un bonhomme rondouillard, vulgaire et sans charisme... mais il a géré avec succès son imprimerie familiale et il est sur la même longueur d'onde que nombre de contribuables excédés.

«Certes», écrivait récemment Margaret Wente, l'influente columnist du Globe and Mail, «Rob Ford possède la distinction, l'intellect et la vision d'un bloc de béton. Il est aussi le seul qui a l'air de comprendre ce qui cloche à l'Hôtel de Ville».

Ce qui cloche? Au dire de Mme Wente et d'un nombre croissant de Torontois tentés de voter pour l'innommable, trop de budgets déficitaires, trop de bureaucratie, trop de bouchons, trop de déchets dans les rues et le métro, trop d'édiles obsédés par les marathons, les pistes cyclables et la valeur esthétique des graffitis, qui ignorent les contribuables et ne prêtent l'oreille qu'aux groupes de pression. C'est Rob Ford qui incarne aujourd'hui la colère des simples contribuables qui en ont marre de voir leur argent s'envoler en projets fumeux.

Or, quelque chose me dit que le jour où un «doer», un type énergique plus porté sur l'action que sur la vision, mettra le pied dans une course à la mairie montréalaise, il y a pas mal de gens qui seront prêts à lui donner une chance, parce qu'à l'instar des Torontois, ils en auront eu assez de voir leur ville dériver sous la molle gouverne d'intellectuels distingués. Mieux vaut un chat de ruelle qu'un impotent, se diront-ils, mieux vaut un Denis Coderre qu'un clone de Gérald Tremblay, un homme qui prend ses jambes à son cou dès que pointe à l'horizon l'ombre d'une controverse, et qui a littéralement laissé la ville aux mains des illuminés de Projet Montréal.

Dans le marasme où Montréal a glissé, bien des gens seront prêts à voter pour n'importe qui, à condition qu'il ait l'air d'avoir un minimum de réalisme et de bon sens, et qu'il manifeste la volonté de régler les vrais problèmes, ceux dont l'administration Tremblay-Bergeron-Ferrandez ne s'occupe jamais.

Qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Je ne lance pas de mouvement en faveur de Denis Coderre, que je connais mal et qui est peut-être, qui sait, un grand parleur et un petit faiseur. Je dis simplement, sans m'en réjouir, que la colère populaire qui a favorisé Rob Ford à Toronto pourrait bien un jour se manifester à Montréal, et que Denis Coderre, s'il manoeuvre habilement, est le genre de politicien qui pourrait en être le bénéficiaire.