En France, les élections régionales ont une fonction analogue, mutatis mutandis, à nos élections partielles: elles offrent aux protestataires et aux mécontents l'occasion d'exprimer leur insatisfaction sans que cela porte à conséquence, le conseil régional étant un palier peu présent dans la vie quotidienne de l'électeur.

Ce que les Français appellent «le vote sanction» a donc joué à plein dimanche dernier, alors que les socialistes, grâce au fort taux d'abstention et aux voix des écologistes et de l'extrême gauche, ont connu leur plus grande victoire depuis les élections législatives de 1981.

La défaite de la droite parlementaire de l'UMP était prévue -d'ailleurs, aux dernières régionales, en 2004, la gauche avait tout balayé sauf l'Alsace et la Corse. Mais l'ampleur de la défaite, de même que le très grand nombre d'abstentions (la moitié de l'électorat), ont semé la consternation dans le camp du président Sarkozy, et accentué les chances de Martine Aubry, la chef du PS, de se frayer un chemin jusqu'à une éventuelle candidature à la présidence... encore que sa rivale, Ségolène Royal, ait elle aussi renforcé sa position, avec un très beau score de 60% dans sa région de Poitou-Charentes.

Plutôt que de siéger à l'Assemblée nationale et de s'épuiser dans des querelles partisanes, Mme Royal avait en effet choisi, après sa défaite à la présidentielle, de se replier sur son fief régional, lequel devrait lui servir de tremplin en 2012. Cela lui permet aussi de mesurer ses apparitions et de n'intervenir sur la scène publique que lorsqu'elle le désire.

L'équipe de Nicolas Sarkozy a perdu une grande partie de l'électorat populaire, celui qui avait permis sa retentissante victoire de 2007 à la présidentielle, et élu quelques semaines plus tard une majorité de députés UMP à l'Assemblée nationale. Certains, parmi ces électeurs, sont retournés au Front national, et la majorité n'a pas voté.

Pourquoi la colère et la bouderie? Il y a, bien sûr, la crise financière, le chômage des jeunes, la délocalisation des entreprises -la France perd ses usines à un rythme inquiétant. Mais cette conjoncture n'est pas unique en Europe. L'Espagne, l'Italie ou l'Irlande ne sont pas en meilleure posture, sans parler de la Grèce, qui est techniquement en faillite.

Le comportement de l'électorat français est difficile à décoder. D'un côté, on réclame du changement, de l'autre on renâcle dès que pointe à l'horizon l'amorce d'une réforme. Le président Sarkozy avait été élu sur des promesses de modernisation dans tous les domaines, de l'économie à l'enseignement, mais chaque fois que son gouvernement a commencé à agir, ne serait-ce que timidement, ce fut la ruée vers la rue: manifs, grèves, protestations, indignation, imprécations...

Pendant ce temps, les médias français s'accrochaient obsessionnellement à tous les petits travers de ce président trop agité, si peu conforme au modèle présidentiel traditionnel. Sarkozy a eu beau s'amender, se calmer, changer le cap, son image était fixée.

En outre, sa politique d'ouverture à gauche a démobilisé nombre de partisans UMP. Sarkozy croyait pouvoir neutraliser l'opposition en nommant ou en favorisant la nomination, à une pléthore de postes-clés (des Affaires étrangères à la présidence du FMI), de personnalités identifiées au camp socialiste, mais il a fini par donner l'impression que toutes les compétences étaient à gauche, et qu'il ne servait à rien de se décarcasser pour l'UMP si c'était pour voir les bons postes aller au camp adverse. Imaginons la réaction des libéraux si Jean Charest offrait ses principaux ministères à des péquistes connus!

Ce président mal-aimé, que 58% des Français ne veulent pas voir briguer un second mandat en 2012, doit maintenant gouverner envers et contre tout, presque seul contre tous.