Élitistes, les libéraux de Michael Ignatieff? C'est le moins qu'on puisse dire! Le grand colloque qu'ils tiennent à partir de demain à Montréal, et d'où, espèrent-ils, devraient surgir des idées susceptibles d'illuminer leur futur programme, est une affaire à huis clos dont même les députés du parti sont exclus... et où seuls seront admis 250 heureux élus qui auront payé 700$ leur carton d'invitation!

L'esprit du colloque -imaginer le Canada à l'aube de ses 150 ans- a de quoi surprendre, étant donné qu'il se déroulera dans une ville fondée en 1642, donc il y a 368 ans, et ce, dans un territoire qui déjà s'appelait le Canada. Mais bien sûr, pour les penseurs torontois, l'acte de naissance du Canada ne remonte qu'à 1867, avec la confédération...

Dans ce cas-ci, le PLC se propose de définir ce que devrait être le Canada de 2017 à partir des «préoccupations quotidiennes des Canadiens», une prétention qui ne manque pas de piquant quand on pense que les participants à la conférence seront tous des universitaires, gens d'affaires et apparatchiks syndicaux triés sur le volet, qui auront en outre les moyens de débourser (ou de faire débourser par leurs organisations) 700$ pour passer trois jours à écouter des conférenciers dont ils connaissent déjà les opinions... mais remarquez, 700$ c'est une obole, quand cela permet de se rapprocher d'un parti qui finira bien par revenir un jour au pouvoir.

On remarquera qu'on n'a prévu aucun débat sur la «nation» québécoise naguère si chère au coeur de M. Ignatieff.

Les partisans libéraux, de même que la plèbe, pourront suivre les discussions sur le web. Les 53 conférenciers proviennent de divers horizons politiques et géographiques... d'où les frais d'inscription considérables, le PLC n'ayant pas les moyens de financer l'opération à même ses propres fonds. N'importe, les leaders libéraux ont toujours adoré ce genre de «brainstorming». Ils y voient une sorte de talisman puisque, comme l'expliquait sans rire aux journalistes un stratège du parti, chaque grand colloque (en 1933 sous Mackenzie King, en 1960 sous Pearson et en 1991 sous Chrétien) a été suivi d'une victoire libérale!

Cela dit, il est vrai que du choc des idées jaillit la lumière, encore qu'on puisse douter qu'un grand souffle de renouveau ait résulté du dernier exercice, sous la houlette de Jean Chrétien dont les programmes électoraux ont toujours été d'une affligeante banalité.

Mais bon, il reste toujours permis d'espérer que ce colloque aidera le PLC à sortir de ses poncifs habituels: intrusion dans les champs de compétences provinciaux (éducation, santé), lancements à répétition de nouveaux programmes sociaux, suprême indifférence face à la dette et aux déficits, vision mégalomaniaque du rôle international du Canada...

Pour l'instant, M. Ignatieff fait face à des défis de moins haut vol, mais tout de même fort embêtants, car il devra peut-être sévir contre les députés qui ont voté contre une motion libérale fustigeant à grand renfort d'insultes personnalisées le fait que le projet de loi gouvernemental sur l'aide aux femmes du tiers-monde ne mentionne pas explicitement l'avortement.

Tout indique que M. Ignatieff avait oublié de vérifier si son caucus allait le suivre quand il a enfourché ce cheval de bataille-là. Trois députés libéraux ont voté contre la motion libérale, quelques autres s'abstenant de se présenter aux Communes parce qu'ils sont contre l'avortement et en font une affaire de conscience.

M. Ignatieff ignorait-il que son caucus compte des opposants à l'avortement? Si oui, c'est impardonnable. Sinon, pourquoi n'a-t-il pas prévu le coup? Faudrait-il ajouter au colloque de ce week-end un cours de stratégie 101?