La victoire de Barack Obama, qui a enfin réussi à faire passer son projet de réforme de l'assurance santé au Congrès, est une formidable avancée qui à première vue réjouira tous les Québécois, de même que bien des gens de par le monde.

Pourquoi dis-je «à première vue»? Parce que cette réforme pourrait avoir, pour les Canadiens et surtout pour les Québécois, des effets négatifs. J'y reviendrai dans un instant.

Mais d'abord, saluons l'habileté politique du président américain qui est venu à bout des résistances extraordinairement puissantes qui menaçaient de torpiller son projet. Il a fait des concessions, oui. Il le fallait, sinon il aurait dû, comme Bill Clinton avant lui, dire adieu à une réforme tragiquement nécessaire.

Elle a été amputée d'un élément central, la création d'un régime public d'assurance maladie qui aurait coexisté avec les assurances privées. À la place, le champ sera laissé aux compagnies d'assurance privées -mais elles seront étroitement encadrées, et ne pourront plus comme auparavant rejeter les mauvais risques. Les plus démunis verront également leurs assurances subventionnées par l'État.

L'autre compromis, c'est que le président utilisera son pouvoir discrétionnaire pour exclure de la nouvelle loi le financement fédéral des avortements, sauf dans les cas de viol ou de danger imminent pour la mère. Ce recul fait grincer des dents, mais il était inévitable car autrement, les législateurs opposés à l'avortement n'auraient jamais baissé les bras.

Grâce à cette réforme qui constituait sa priorité, Barack Obama est maintenant sûr de passer à l'histoire comme un grand président, quoiqu'il advienne de ses autres réalisations.

Vue du Canada toutefois, la victoire est à double tranchant, voire «un véritable désastre», comme le signale un médecin qui se demande, dans un courriel, «d'où viendront les médecins et les infirmières requis pour traiter ces 32 millions de nouveaux patients que la réforme d'Obama fera entrer dans le système de santé»... La question, bien sûr, est purement rhétorique.

Ce n'est pas dans le Caucase ou en Mauritanie que les hôpitaux américains recruteront leurs professionnels de la santé. C'est tout naturellement vers le Canada qu'ils se tourneront. Un pays limitrophe, où les standards de qualité sont équivalents. Qui plus est, nombre de médecins spécialistes canadiens, y compris les francophones, ont fait leurs études postdoctorales aux États-Unis! Ils connaissent le pays, parlent parfaitement anglais, et les conditions de travail qu'on leur offrira seront probablement bien meilleures qu'ici.

Le Québec est particulièrement vulnérable. Nos infirmières sont excédées par leurs conditions de travail. Nos médecins généralistes sont débordés. Les spécialistes sont moins bien rémunérés qu'ailleurs au Canada, et sont déjà tentés de s'expatrier là où ils pourront pratiquer leur profession dans des conditions acceptables, avec une technologie de pointe et des salles d'opération ouvertes en permanence. Si l'appel des États-Unis se conjugue à celui des autres provinces, on pourrait assister à une vague de départs plus sérieuse que celles qu'on a connues.

La table est bel et bien mise pour une autre atteinte à notre système de santé déjà chancelant.

Hélas, l'État québécois traite tous ses employés de la même façon, comme s'ils étaient interchangeables et facilement remplaçables. Or, contrairement à la majorité des fonctionnaires, les infirmières et les médecins dotés de diplômes canadiens sont en demande partout au monde... et aucun n'est remplaçable à court terme.

Ces derniers devraient être considérés comme une catégorie à part dans la présente ronde de négociations, ne serait-ce qu'en fonction de la loi de l'offre et de la demande... une loi dure mais universelle et incontournable, que seul un régime totalitaire peut combattre.