Y a-t-il une telle chose que le droit à l'enfant? Le droit au bonheur personnel et à l'épanouissement par la maternité devrait-il être, dans ce Québec qui se paie tous les luxes et néglige l'essentiel, hissé au niveau des droits fondamentaux?

Il n'y a pas un seul éthicien, ni un seul juriste, qui ait répondu oui à cette question. D'ailleurs, la Commission de l'éthique de la science et de la technologie vient d'émettre un avis stipulant que «le droit à l'enfant» est une fiction, et que le gouvernement n'est aucunement tenu d'accéder aux demandes des couples en mal d'enfant qui réclament depuis belle lurette des traitements de fertilisation aux frais des contribuables.

Mais on sait, hélas, que le gouvernement Charest ne tient jamais compte des avis des spécialistes, même de ceux qu'il a lui-même sollicités. Dans ce cas-ci, il a préféré écouter les doléances de Julie Snyder, la grande marraine de ce projet.

Le Québec deviendra donc bientôt le seul État nord-américain à offrir gratuitement des traitements de procréation assistée aussi onéreux qu'aléatoires : chaque traitement (trois essais) peut coûter jusqu'à 45000$, avec des taux de réussite pathétiquement bas.

Le gouvernement consacrera cette année 32 millions (et jusqu'à 80 millions pour les années subséquentes) à ce programme compassionnel mais totalement superflu dans le contexte actuel. Les urgences débordent, des chirurgies majeures sont retardées, les lits destinés aux soins curatifs sont occupés par des vieillards en attente d'hébergement, la prévention ne se fait pas à cause de la pénurie de médecins de famille, les hôpitaux, sales et vétustes, se dégradent, on souffre partout d'un manque tragique d'infirmières, les médecins perdent la main parce qu'ils n'opèrent pas assez, le Québec risque de perdre ses meilleurs spécialistes...

Et le gouvernement Charest, qui fait la fine bouche devant les revendications légitimes du personnel hospitalier, trouve 80 millions pour un programme qui n'existe nulle part ailleurs en Amérique ? Et ce, dans une société qui arrive au cinquième rang des nations les plus endettées du monde développé, et où les contribuables sont déjà, comme le répétait M. Charest il y a seulement quelques années, «les plus surtaxés en Amérique du Nord»?

Plus absurde encore, le gouvernement va étendre ces traitements aux hôpitaux de Sherbrooke et de Québec, où l'expertise n'existe pas et où il faudra mettre en place de coûteuses infrastructures, embaucher des médecins et des techniciens spécialisés! On voit l'idée: il y a quelques comtés à flatter en région... encore qu'il serait injuste de ne s'en prendre qu'au gouvernement, les deux partis d'opposition ayant eu eux aussi la légèreté de faire de ce projet une promesse électorale. Mais ce sont les libéraux qui sont au pouvoir, ce sont eux qui doivent être tenus responsables de ce détournement de fonds publics.

Il y a toutes sortes de misères en ce bas monde, et il n'y a pas de doute que le désir d'enfant frustré en soit une. Mais dans ce cas, il y a tout de même une issue, et c'est l'adoption, comme le signalait judicieusement la Commission de l'éthique.

Dans le cours de leur croisade pour faire reconnaître les traitements in vitro comme un service essentiel, Julie Snyder et Céline Dion ont souvent décrit, avec une émotion bien compréhensible, le calvaire qu'elles ont elles-mêmes traversé, en disant vouloir aider de moins riches qu'elles-mêmes. Mme Snyder, en plus de faire du lobbyisme incessant auprès du gouvernement, a donné de sa personne en présidant des collectes de fonds au profit du centre de fertilité de McGill.

Cela dit, il aurait été plus sympathique qu'au lieu de refiler le fardeau aux contribuables, ces dames mettent sur pied une fondation destinée à aider les couples démunis à essayer de réaliser leur rêve.