Le décrochage scolaire s'aggrave. Kahnawake expulse des pères de famille au nom de la pureté raciale. Les francophones détiennent le record de la sous-scolarisation. Le projet du CHUM est dans les limbes. Les travaux publics sont rongés par la corruption. Mais qu'est-ce qui suscite une tempête d'indignation? Une petite modification au calendrier pédagogique qui ne sera vraisemblablement appliquée que dans six écoles juives hassidiques!

«Écoles juives». Juives. Juifs. Le mot est lâché. Le mot qui allume tous les incendies, on se demande bien pourquoi (je blague, car je crois malheureusement savoir pourquoi).

 

L'affaire, par sa dimension maladivement démesurée, rappelle la crise qui avait failli jeter le gouvernement à terre en 2005: on se déchaînait, avec une unanimité proprement terrifiante, contre le fait que le gouvernement Charest comptait accorder un financement accru à des écoles privées juives en échange d'un partenariat avec des commissions scolaires francophones. Et qu'importe si des écoles grecques bénéficiaient depuis longtemps des mêmes avantages. Les Grecs, ça ne dérange pas. Les Juifs, si.

Et ça recommence. La CSQ réclame la démission de la ministre Courchesne. Dans la presse écrite, le même mot revient sous toutes les plumes: «gâchis». Un chroniqueur voit dans ce scandale «la bonne cause» qu'espéraient les syndicats du secteur public. Un autre n'a plus de chemise à déchirer tant il en a déchirées: «Là, gémit-il, on a touché le fond.» L'opposition péquiste, qui enfourche maintenant le glorieux cheval de bataille de Mario Dumont, pousse les hauts cris au nom de la sacro-sainte «laïcité».

L'heure est grave, on enquête. Le Devoir a découvert que l'exécuteur des basses oeuvres est un «lobbyiste» libéral embauché par la communauté hassidique. C'est lui qui a négocié avec le ministère la modification au calendrier pédagogique. Notons bien qu'il n'y a rien d'illégal là-dedans. Ce lobbyiste était dûment inscrit au registre, il travaille pour une firme respectable (National), et qu'il soit au surplus militant libéral n'a strictement rien d'incongru: tous les groupes de pression embauchent des lobbyistes proches du parti au pouvoir. En ferait-on une aussi grosse histoire s'il s'était agi de négociations entre un regroupement d'épiciers et le ministère du Développement économique?

Qui peut croire sérieusement qu'une commission scolaire oserait imposer l'école du dimanche à nos chers petits?

Un lecteur enragé: la ministre, écrit-il, a accordé «à une minorité religieuse des privilèges qui dérangent la majorité». Comment ça? Ça vous dérange, vous, qu'une poignée de jeunes hassidim aillent lire la Torah le dimanche ou le soir au lieu de s'adonner à des jeux vidéo ou de traîner dans les parcs? Quel tort causera un règlement qui restera, à défaut d'un consensus social fort improbable, inappliqué à l'échelle de la province?

Il faudrait au contraire féliciter Mme Courchesne d'avoir réussi à ramener dans le giron une minorité qui refusait jusqu'ici de respecter le régime pédagogique parce qu'elle met l'accent sur l'enseignement de la religion. En échange de l'allongement des heures de cours, les élèves des écoles hassidiques apprendront les matières communes à tous les Québécois. C'est une bonne nouvelle!

On reproche à la ministre d'avoir agi «en cachette». C'est peut-être une maladresse, encore qu'on puisse comprendre l'embarras d'un gouvernement échaudé par la crise hystérique de 2005, qui a appris à la dure qu'il marche sur des oeufs quand il est question de la communauté juive. Mme Courchesne est l'un des rares ministres qui ait essayé de changer des choses, dans le monde momifié de l'éducation nationale. Elle ne mérite pas le traitement ignominieux qu'on lui fait subir.