L'anecdote m'a été racontée par un ami qui habite Vancouver, où la présence d'une très forte minorité chinoise provoque ici et là des vagues de racisme. Dans l'une des cabines des toilettes pour hommes de l'Université de la Colombie-Britannique, quelqu'un a griffonné des graffiti antichinois.

La réplique ne se fit pas attendre. Le lendemain, un étudiant chinois avait écrit sur la même paroi: «Vos enfants travailleront pour nos enfants.»

 

Et c'est probablement vrai, parce que les jeunes Asiatiques étudient bien davantage que les jeunes Canadiens de souche, et qu'ils travaillent d'arrache-pied pour se conformer aux rêves que leurs parents ont conçus pour eux.

Je connais une famille malaise d'origine chinoise qui a émigré à Vancouver pour échapper au racisme qui, en Malaisie, s'exerce contre les Chinois, «coupables» d'être plus entreprenants et de réussir mieux que les Malais pur jus. Les deux parents avaient de bons emplois - le père gérait une plantation et la mère enseignait l'anglais - mais ils savaient que leurs enfants risquaient de ne pouvoir entrer à l'université en raison des politiques discriminatoires antichinoises. Ils se sont exilés pour que leurs enfants aient toutes les chances d'avenir. Résultat: deux des enfants sont médecins et le troisième est dentiste.

Le Québec n'est pas à l'abri du même phénomène. En fait, si l'on en juge par un rapport consternant émanant de l'Institut de la statistique du Québec, les francophones risquent d'être déclassés non seulement par rapport aux anglophones de souche, mais aussi par rapport aux immigrants, en particulier ceux qui ont été sélectionnés en fonction de leur niveau de scolarité, et ceux qui viennent de groupes ethniques où l'instruction est hautement valorisée par les familles (les Asiatiques notamment).

Pourquoi? Il n'y a pas de mystère. Les francophones québécois sont proportionnellement moins nombreux à poursuivre leurs études. Chez les 25-34 ans, 24,8% des francophones ont un diplôme universitaire. C'est le cas de 34,9% des anglophones... et de 37,4% des allophones.

La sous-scolarisation historique du Québec français n'est pas disparue malgré les progrès indéniables. En 1960, un adulte sur deux n'avait pas terminé son primaire. Aujourd'hui, une bonne partie du retard a été comblé, mais l'écart demeure entre les francophones québécois et les anglophones... et cela, même si les communautés d'origine britannique et juive ont perdu nombre de leurs élites au profit de Toronto, lors de l'«exode» suivant l'élection du PQ en 1976.

Les francophones québécois sont proportionnellement plus nombreux à abandonner les études, et deux fois plus nombreux à se contenter d'un diplôme professionnel du collégial.

Ils sont même dépassés, au chapitre de l'instruction supérieure, par les Franco-Ontariens, un groupe naguère défavorisé qui a trouvé le moyen de rattraper ses concitoyens anglophones - un phénomène qu'un chercheur de l'ISQ attribue au fait que les Franco-Ontariens vivent dans une province où l'on accorde plus d'importance à la formation universitaire. Ce serait en quelque sorte un phénomène d'osmose, les valeurs de la majorité déteignant sur la minorité.

Cela prouve, s'il en était besoin, que le bas niveau des droits de scolarité ne favorise pas nécessairement l'élévation de l'instruction. Pour ce qui est du taux d'obtention de diplôme, le Québec, où il en coûte moins cher que partout ailleurs pour s'inscrire à l'université, se situe en dessous de la moyenne canadienne!

D'ici quelques années, les jeunes francophones québécois entreront en concurrence, sur le marché du travail, avec de jeunes anglophones plus instruits et parfaitement bilingues, et de jeunes allophones encore plus instruits, et qui parleront au moins trois langues (le français, l'anglais et le mandarin ou l'arabe ou l'espagnol...).

Devinez donc qui travaillera pour qui?