Que faut-il penser des mesures de sécurité additionnelles qu'on compte mettre en oeuvre dans les aéroports?

Commençons par la moins controversée: les scanners corporels que le gouvernement canadien, à l'instar de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, a l'intention d'installer dans neuf aéroports du pays. Ces scanners, qui permettent de voir à travers les vêtements, auront l'avantage de prévenir à la source des attentats comme celui de Detroit. Faut-il y voir une atteinte aux libertés? Je ne le crois pas, à condition évidemment que les écrans soient visionnés dans un local fermé, que le visage du voyageur soit caché et son identité protégée, et les images détruites après son passage. On devrait aussi prévoir des dispositifs séparés pour les deux sexes.

Ce sera une vexation de plus pour la masse des voyageurs innocents, mais ce ne sera pas plus idiot que de forcer tout le monde à enlever ses chaussures parce qu'un dénommé Richard Reid a déjà transporté des explosifs dans ses chaussettes.

 

Les États-Unis vont plus loin. Ils imposeront des contrôles supplémentaires aux voyageurs provenant de 14 pays «problématiques».

Avant de jeter les hauts cris, établissons d'abord un principe: nul pays n'est tenu d'accueillir quiconque se présente à sa frontière. Les Canadiens, malgré leur bonne réputation, doivent acheter un visa (qui peut être refusé) pour visiter nombre de pays. À la fin des années 80, après une vague d'attentats, il fallait même un visa pour aller en France! Le Canada impose l'obtention de visas de séjour aux ressortissants de près de 200 pays. Même les Roumains et les Tchèques, membres de l'Union européenne, doivent montrer patte blanche à cause des Roms dont on craint l'immigration illégale.

Les pays ciblés par l'administration américaine sont tous (sauf Cuba) arabes ou musulmans. Faut-il voir là du «profilage racial» ? Non, car on cible non pas le faciès mais l'État qui apparaît sur le passeport ou la carte d'embarquement. Ainsi, les citoyens américains d'origine pakistanaise ou yéménite ne seront nullement inquiétés s'ils voyagent avec un passeport américain. En outre, ces pays n'ont pas été ciblés parce qu'ils sont musulmans (des pays comme la Turquie, le Maroc ou le Sénégal ne sont pas sur la liste «noire») mais parce qu'ils ont tous été des foyers de terrorisme.

La décision américaine est arbitraire, mais tient compte d'une réalité indéniable. Les terroristes des dernières décennies n'ont pas été des ados norvégiens, des membres de l'Église presbytérienne ou des vieilles dames bretonnes. Sauf de rares exceptions, tous les attentats et toutes les tentatives d'attentats ont été commis par des hommes de moins de 40 ans qui étaient des intégristes musulmans.

Hélas, cette mesure risque de mettre le feu aux poudres sans même avoir l'avantage d'être efficace. Richard Reid était un Anglais converti à l'Islam. Les auteurs de récents complots éventés en Grande-Bretagne et en Ontario avaient la nationalité du pays. Et les réseaux terroristes s'arrangeront bien pour recruter leurs futurs martyrs dans des pays «non suspects»...

Tous les experts le disent, la meilleure protection serait d'imiter les techniques en vigueur en Israël, où les inspecteurs sont entraînés à détecter les comportements suspects par des interrogatoires serrés où les réponses comptent moins que les réactions. Mais Israël n'a qu'un aéroport international. L'embauche d'inspecteurs formés en psychologie, dans des pays comme le Canada, serait une dépense astronomique et ralentirait le flux des voyageurs au-delà du bon sens. D'ailleurs, qui va sérieusement prétendre qu'il n'y a pas un élément de «profilage ethnique» quand les inspecteurs israéliens décident quel voyageur sera soumis à un interrogatoire plus poussé?