J'avais été éblouie en voyant, il y a une dizaine d'années, à Vancouver, Dry lips oughta move to Kapuskasing, de Tomson Highway, alors je n'allais pas rater Une truite pour Ernestine Shuswap, que présente L'Espace Go, dans une mise en scène époustouflante d'André Brassard.

Quel plaisir! Ce n'est pas par hasard que cette pièce m'a rappelé Les belles-soeurs, de Tremblay, qui fut d'ailleurs l'une des inspirations de Highway. Ici aussi, c'est un spectacle de femmes où la misère et la beauté d'une culture menacée affleurent à travers les papotages, les petites querelles et l'humble train-train quotidien de ces femmes qui s'affairent, dans la Colombie-Britannique de 1910, à cuisiner un banquet pour le «grand Kahuna», le Grand Chef Wilfrid Laurier. Brassard, qui le premier monta Les belles-soeurs, était dans son élément.

 

De récitations en conversations, soutenues par quatre formidables comédiennes (dont Pierrette Robitaille, admirable dans le rôle-titre), l'action bondit librement, échevelée, sans plan précis dirait-on - mais ce rythme décalé convient bien à l'esprit fantaisiste et onirique de Tomson Highway, 11e enfant d'une famille de trappeurs cris du nord du Manitoba devenu un dramaturge à la fine pointe de la modernité.

Les décors sont beaux, avec la naïveté requise, et la traduction de Tremblay est impeccable, mélange coloré et imagé de langue familière et de langue soutenue. Il y a des répliques qui vous font crouler de rire, d'autres qui rendent un son d'autant plus triste que l'on connaît, aujourd'hui, la suite de l'histoire de cette dépossession. Une dépossession qui a pris des dimensions de plus en plus tragiques à mesure que la colonisation pénétrait dans l'Ouest, car elle s'y manifestait plus tard, 300 ans après la colonisation du Québec, à des époques où les Blancs n'avaient plus besoin, comme les premiers colons isolés, d'amadouer les autochtones et de signer des traités.

Seul bémol, le petit laïus, à la fin, qui fait prêchi-prêcha comme dans une pièce à thèse. Ce n'était pas nécessaire, on avait compris.

Tomson Highway n'a pourtant rien de l'Amérindien ressassant les vieux griefs. Loin d'entretenir la nostalgie d'une culture perdue, son théâtre contient en filigrane l'éloge du métissage. Et lui-même s'écarte spectaculairement du discours militant des Premières Nations.

Interviewé récemment par Nathalie Petrowski, il refusait de peindre en noir le pensionnat religieux où il a passé son enfance: «Arrêtez-moi ces histoires d'abus! Je ne suis pas une victime, je suis un diplômé de l'école privée, comme les fils de la reine. C'est à l'école privée que j'ai appris à lire, à écrire et à parler anglais. Le plus grand agresseur, ce ne sont pas les prêtres ni les soeurs, c'est la religion catholique qui interdit le plaisir...»

Mais n'a-t-il pas été arraché à sa famille? «Quand je suis monté dans l'hydravion, le message émotionnel de mon père était: le monde est en train de changer, mon fils. Va à l'école, étudie, sois heureux, aventureux et reviens-nous avec tout ce que tu auras appris!»

Mais le déracinement? «Quel déracinement? Chaque été, je revenais passer deux mois avec ma famille au Nunavut. Tous les jours, je partais en canot avec mon père pour pêcher pendant 14 heures. En connaissez-vous beaucoup des petits garçons qui passent 14 heures par jour avec leur père pendant deux mois? Toute ma vie a été un miracle...»

Voilà un exemple dont devraient s'inspirer certains Québécois englués dans la culture du ressentiment.

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Contrairement à ce que j'ai écrit dans ma chronique du 15 septembre, il n'y a pas de soupçons de fraude qui pèsent sur le sénateur Patrick Brazeau.

lgagnon@lapresse.ca