C'est dans les villes de l'Ouest canadien que l'on voit le plus clairement la misère amérindienne. Dans tous les quartiers pauvres de Winnipeg, de Regina, d'Edmonton ou de Vancouver, elle vous saute aux yeux.

Une image, entre autres. Bien à la vue des passants, à l'entrée d'un supermarché Safeway, dans l'est de Vancouver, un petit garçon de 7 ou 8 ans pisse dans son pantalon, comme si c'était la chose la plus normale au monde. Sa mère est là, qui le regarde d'un air impassible, attendant qu'il ait fini. Elle n'a pas 20 ans. Elle est obèse et enceinte, et deux autres enfants sont accrochés à ses jupes.

 

On pourrait soutenir que les Indiens qui vivent en dehors des réserves ont malgré tout plus de chances - en tout cas plus de possibilités de s'en sortir - que ceux qui restent emprisonnés dans ces communautés isolées que sont les réserves, sous l'emprise quotidienne de chefs de bande très souvent corrompus jusqu'à l'os. Thompson Highway, dont une pièce est actuellement à l'affiche de l'Espace Go, ne serait pas devenu un dramaturge de réputation internationale s'il avait passé toute sa vie sur une réserve. Il reste que les Indiens «off reserve» forment le tiers-monde urbain du Canada.

C'est pourquoi j'ai été indignée (quoiqu'à vrai dire pas tellement étonnée) d'apprendre dans le Globe and Mail que Patrick Brazeau, l'ancien chef du Congrès des peuples aborigènes que le premier ministre Harper a nommé au Sénat l'hiver dernier, est soupçonné d'avoir fraudé tant les contribuables que le malheureux peuple qu'il représente.

Pendant que ses commettants s'enfoncent dans l'alcool et dans le trou sans fond de l'aide sociale, M. Brazeau s'offrait tous les luxes des capitaines d'industrie - voyages en première classe, téléviseur géant pour son bureau, chèques personnels encaissés sans les autorisations requises à même les fonds du Congrès, jolie «prime de séparation», etc.

Après deux audits, le ministère des Affaires indiennes, qui finance l'organisation à hauteur de 5 millions de dollars par année, réclame du Congrès des remboursements totalisant près de 800 000 $ en dépenses inadmissibles pour la période de 2004 à 2006, laquelle correspond aux années où M. Brazeau était responsable des finances et chef national de l'organisation.

Puisque l'on parle du Sénat, on ne s'étonnera pas que M. Harper ait voulu y nommer un membre en vue des Premières Nations. M. Harper a cependant bien mal choisi son homme. Comment accepter que siège à la Chambre haute un homme sur qui pèsent des soupçons de fraude ?

Une autre nomination contestable de M. Harper - quoique dans un tout autre registre - est celle de l'ancien entraîneur du Canadien, Jacques Demers.

Certes, M. Demers est un citoyen éminemment respectable, en plus d'avoir excellé dans sa profession. Mais enfin, soyons sérieux. La fonction essentielle d'un sénateur, c'est de lire et d'analyser des projets de loi. Or, M. Demers avouait en 2005 qu'il a toujours été analphabète. Aujourd'hui, il dit avoir appris à lire suffisamment pour déchiffrer des textes simples et courts. Voilà déjà un beau progrès, mais les projets de loi ne sont pas Le Journal de Montréal. Ce sont des textes longs et complexes, qui exigent une capacité normale de lecture.

M. Demers était le premier surpris de sa nomination, ce qui montre qu'en plus d'être sympathique, cet homme a du bon sens. Il reste qu'objectivement, et indépendamment des qualités personnelles de M. Demers, cette nomination est un bien mauvais exemple à proposer aux jeunes tentés par le décrochage scolaire. Non seulement on peut devenir millionnaire et célèbre sans savoir lire, mais on peut en plus accéder aux plus hautes fonctions du pays !