C'est de nouveau le flirt entre libéraux fédéraux et provinciaux, les fiançailles entre MM. Charest et Harper s'étant rompues quand le premier a laissé tomber le second en pleine campagne électorale fédérale, et ce, après que Stephen Harper, amant volage, eût entamé une brève liaison avec Mario Dumont. Les amours sont fugitives en politique. Mais la relation qui s'amorce entre le PLC et le PLQ est-elle prometteuse?

Rien n'est moins sûr. M. Charest n'a pas d'affinité particulière avec les libéraux fédéraux qu'il a combattus aux côtés des conservateurs de Mulroney, et il est difficile de voir en quoi M. Ignatieff pourra donner au Québec davantage que ce que lui a cédé Stephen Harper.

 

Le nouveau chef libéral a déjà fait savoir sans équivoque qu'il n'entend pas enchâsser le concept de «nation» dans la constitution (ce en quoi il fait preuve du réalisme le plus élémentaire). Et il serait fort étonnant que le PLC renonce à sa tradition centralisatrice.

Ce n'est pas sans raison que le premier ministre Harper, l'autre jour à Montréal, tapait sur ce clou-là. Même si sa cote a désespérément baissé au Québec, le Parti conservateur garde un gros atout dans sa manche: il peut dire aux Québécois, sans trahir la vérité, qu'il est le seul parti à prôner un fédéralisme décentralisateur. M. Harper pourrait à la rigueur, s'il était poussé dans les câbles, renoncer formellement au pouvoir de dépenser dans les champs de compétence provinciale, mais cela ne se produira jamais sous un gouvernement libéral. M. Ignatieff, d'ailleurs, ne s'en cache pas. Le gouvernement fédéral faillirait à sa mission, disait-il au sortir du congrès de Vancouver, s'il ignorait les grandes questions qui intéressent les citoyens. Et c'est reparti: programme national de garderies, programmes favorisant la recherche et l'innovation, éducation post-secondaire, TGV est-ouest (alors que les déplacements, du moins à partir du Québec, se font vers le sud)...

Le PLC a toujours formé des gouvernements interventionnistes et dépensiers. Il n'y a pas de raison pour que cela change avec Michael Ignatieff, qui n'est pas le genre d'homme à se contenter d'administrer les douanes et la TPS, et qui rêve au contraire de «refaire» le Canada et d'unir tous les Canadiens autour de grands projets collectifs.

Même Stéphane Dion est tombé dans le piège, lui qui, au temps où il enseignait la science politique, croyait dur comme fer à la séparation des pouvoirs entre le fédéral et les provinces. Son programme électoral, l'automne dernier, était truffé d'interventions grossières dans des domaines de compétence provinciale. Il voulait même se mêler des admissions dans les facultés de médecine!

Il est beaucoup trop tôt pour savoir si l'erre d'aller dont jouit actuellement le nouveau chef libéral va durer. Les Québécois seront-ils sensibles à son charme raffiné, à ses indéniables qualités intellectuelles, à sa hauteur de vue? Seront-ils au contraire rebutés par son côté un peu hautain?

Les publicités négatives dont les tories inondent les ondes vont-elles lui nuire? Probablement.

Dans toutes les sociétés, il y a des gens qui se méfient des «jet-setters» et des personnalités cosmopolites. Ceux-là lui reprocheront d'avoir été absent pendant trois décennies du pays qu'il veut diriger... en oubliant que Stephen Harper, lui, présente le problème inverse: quand il a été élu, ce dernier n'était pratiquement jamais sorti du Canada; il avait très peu voyagé, et aussi brillant fut-il, ses horizons étaient limités. D'où son inaptitude à comprendre les arcanes de la diplomatie internationale et son insécurité psychologique qui le pousse à vouloir tout contrôler. L'indifférence têtue qu'il a manifestée envers la Chine jusqu'à tout récemment, entre autres choses, a beaucoup nui au pays.