Il y a des faits divers particulièrement dérangeants. L'autre jour, un père de famille a abandonné son enfant en pleine nuit pendant des heures, dans une forêt des Cantons-de-l'Est où il aurait pu être la proie de bêtes sauvages. Le petit avait un an et n'était vêtu que d'un pyjama. Il était en position foetale quand un policier l'a retrouvé.

L'alcool? La drogue? Probablement, mais cela n'excuse rien. Les animaux n'ont pas de conscience et pourtant ils protègent instinctivement leurs enfants.

 

Cela rappelle un autre fait divers, dont le dénouement fut effroyable. L'hiver dernier, Christopher Pauchay, un autochtone de la réserve de Yellow Quill, en Saskatchewan, est sorti par une nuit où le blizzard soufflait à pleine force pour aller rendre visite à des parents, en emmenant avec lui ses deux filles (15 mois et 3 ans), vêtues seulement de couches et de t-shirt. Pauchay, qui était dans un état d'ébriété avancé, a perdu son chemin et laissé tomber ses enfants dans la neige. Ce n'est qu'une fois rendu chez ses proches qu'il s'est rappelé leur existence. Les deux enfants ont été retrouvées mortes, gelées. Pauchay avait déjà été condamné à 52 reprises pour divers délits.

Son procès s'est soldé par une peine de trois ans de prison. Trois ans pour deux morts, c'est peu, mais là n'est pas mon propos.

Il y a une suite à cette histoire, et elle est politique. Dans son dernier livre (par ailleurs fort intéressant), le chef libéral Michael Ignatieff revient sur ce fait divers. Voici comment il le raconte. Lisez bien, son récit est surréaliste.

«Imaginer un pays, ce n'est pas seulement l'imaginer comme il nous apparaît à nous seuls. C'est l'imaginer comme l'Inuit peut le voir... c'est l'imaginer comme un habitant de la réserve de Yellow Quill en Saskatchewan, qui voit un Canada où deux enfants à moitié nus sont morts de froid dans les ténèbres subarctiques, à cinquante mètres de leur cabane, parce que leur père a voulu les emmener chez ses parents, mais qu'il s'est perdu et n'est jamais arrivé à destination (...). Et nous, Canadiens, comment penser notre pays le lendemain matin, en apprenant que des enfants sont morts de cette façon? C'est indubitablement plus que l'histoire d'une famille frappée par la tragédie. C'est une histoire qui parle de nous tous.»

Ceux qui ignoreraient la véritable histoire croiraient que ces pauvres enfants sont mortes par un coup du destin, sans que personne ne soit responsable. Sous la plume d'Ignatieff, Pauchay est une victime - qui plus est, une victime du Canada blanc! C'est la version canadienne du «sanglot de l'Homme blanc» si bien décrit par Pascal Bruckner.

Ce lyrisme larmoyant, qui travestit complètement une histoire qui avait pourtant été décrite en détail dans tous les journaux, est de mauvais augure. Cela laisse croire que le nouveau chef libéral pourrait enfiler les mocassins de Paul Martin, qui a cédé à l'Assemblée des premières nations tout ce qu'elle réclamait - plus spécifiquement le retrait d'un projet de loi présenté par l'ancien ministre Robert Nault.

Ce projet de loi était pourtant nécessaire. Il aurait rendu les chefs des réserves autochtones redevables à leurs commettants, quant à l'utilisation des fonds considérables qui leur sont alloués par Ottawa, tout en les soumettant à un minimum de contrôles démocratiques.

Sitôt au pouvoir, M. Martin a jeté aux oubliettes ce projet de loi, avec ce résultat que la corruption endémique et l'arbitraire politique ont continué de sévir dans les réserves. Espérons que l'histoire ne se répétera pas, et que M. Ignatieff respectera assez les autochtones pour les considérer comme des adultes responsables de leurs actes.