Compteurs d'eau, SHDM, Zampino, Accurso... Les scandales s'enchaînent, les haut-le-coeur se succèdent. Oui, c'est vrai, le maire Tremblay doit en porter la responsabilité même s'il n'a pas lui-même mis la main dans l'auge. Oui, c'est vrai, n'importe quel ministre qui serait lié, serait-ce par personnes interposées, à autant de cas présumés de corruption, aurait déjà démissionné.

Mais on se gardera bien de demander la démission de Gérald Tremblay car son successeur pourrait être pire - encore plus indolent, encore plus incompétent, ou alors, pourquoi pas, carrément fraudeur. Les Montréalais sont prudents parce qu'ils ont depuis toujours (depuis en tout cas que j'ai l'âge de raison) été floués par leurs édiles.

 

Je me souviens vaguement de l'ineffable Sarto Fournier, que personne, sauf erreur, ne prenait au sérieux. Beaucoup plus de Jean Drapeau, ce mégalomane aux instincts dictatoriaux qui nous a laissés la méga-dette de son méga-stade. Je me souviens de la grosse déception que fut Jean Doré, un homme intelligent entravé par les penchants bureaucratiques de son parti. Puis vint le très bucolique Pierre Bourque, qui voyait Montréal comme un jardin chinois.

On a maintenant M. Tremblay, qui a hérité des travers de son prédécesseur - le même côté zen, la même sentimentalité doucereuse, la même obsession pour la campagne, sauf que lui, son dada ce sont les pistes cyclables - sans avoir par ailleurs la détermination qu'affichait à l'occasion M. Bourque. Donc, on a M. Tremblay: un homme aveugle, sourd et muet, qui n'a rien vu des magouilles qui se tramaient sous son nez, qui a assisté passivement au déraillement des fusions municipales, qui regarde béatement le CHUM s'enfoncer dans la mouise, et les rues de cette pauvre ville au sol crevé et mal retapé se dégrader au point qu'on se croirait parfois dans une bourgade du Tiers-monde.

Ce pourrait être pire, on le sait. M. Tremblay ne fait rien, mais au moins, il ne fait pas de mal.

On pourra bien installer tous les garde-fous qu'on voudra - des commissaires à l'éthique, des guides de déontologie, des lignes de délation, et pourquoi pas tant qu'à y être des primes à l'honnêteté! - rien ne remplacera ce qui devrait aller de soi: une équipe municipale d'élus raisonnablement compétents et rigoureusement intègres... à l'image, tout simplement, de l'immense majorité des citoyens.

Pourquoi la politique municipale montréalaise compte-t-elle autant de pommes pourries? Pourquoi les Montréalais n'ont-ils jamais les édiles qu'ils méritent? Qu'on ne vienne pas me dire que c'est parce qu'il n'y a pas assez d'incitatifs: ces messieurs-dames sont rémunérés plus somptueusement que leurs équivalents dans le reste du Canada, et cela se passe par-dessus le marché dans la plus pauvre des grandes villes du pays.

Je crois que l'une des raisons de cet avilissement tient à l'exode de la classe moyenne, celle d'où pourrait venir le sang neuf susceptible de rehausser la qualité de nos élus. Les anglophones entreprenants sont partis à Toronto ou ailleurs, laissant ici leurs vieux parents retraités. Les francophones de classe moyenne sont à Laval et sur la Rive-Sud. Ce vide a été comblé par des immigrants de fraîche date qui ne sont pas assez acculturés pour contribuer à la vie politique.

On avait coutume d'envier Toronto. Maintenant, on en est rendu à envier Québec! On a tort. La capitale est choyée par les politiciens provinciaux qui y passent la moitié de l'année, c'est une ville homogène, aussi blanche que le pain Weston, où presque tout le monde travaille dans le secteur public. C'est Montréal qui subit les secousses du marché et qui hérite des cas sociaux les plus lourds. Le maire Labeaume, transplanté à Montréal, serait beaucoup moins fanfaron.