Je reviens pour la troisième fois sur cette histoire surréaliste des «antécédents judiciaires» que doit produire tout adulte entrant en contact avec des enfants, dans ce Québec qui voit maintenant des pédophiles sous tous les lits.

Au départ, à la lecture d'un dossier fort troublant de La Presse sur le sujet, je croyais le phénomène limité au monde scolaire... pour découvrir ensuite, grâce aux témoignages de lecteurs, qu'il s'étendait à bien d'autres domaines, comme l'organisation de tournois sportifs. J'apprends maintenant que d'autres institutions, partout, font faire des recherches policières sur le passé judiciaire d'un tas de gens automatiquement suspects de pédophilie. Ici, on dépasse le surréalisme pour entrer dans le merveilleux monde d'Orwell. (On peut trouver mes deux premières chroniques sur le sujet sur Cyberpresse.)

 

Je passe le micro à trois lecteurs qui relatent leur expérience, en termes clairs et mesurés. Et contrairement à ceux qui interviennent sur les blogues, cachés derrière un pseudonyme, ces lecteurs-là signent de leur vrai nom.

Le premier est un instituteur retraité qui a, notons-le bien, enseigné pendant 35 ans dans la même école... ce qui laisse croire que s'il y avait quelque chose de louche chez lui, cela se saurait!

«En octobre 2001, écrit-il, je suis retourné à la même école pour du remplacement à court terme. La secrétaire m'avise que je devais me procurer un formulaire d'antécédents judiciaires. Je n'étais plus dans le «système», j'étais devenu un suspect potentiel.»

«Depuis ce temps, j'ai travaillé dans d'autres commissions scolaires. Chaque fois, un nouveau formulaire... Dans la ville où j'habite, le service de police demande 60$ si on postule un emploi dans l'éducation ou la santé, 40$ pour tout autre ministère et pas un sou s'il s'agit d'une demande d'emploi dans la municipalité. Des tarifs différents pour un même formulaire et un même objectif! Quelle lourdeur administrative! Et pendant ce temps, les élèves décrochent...»

Deuxième correspondant, un professeur qui a animé un groupe de scouts de 1983 à 1996 (encore ici, une stabilité qui devrait rassurer les autorités!).

«L'an dernier, écrit-il, on m'a demandé d'aller aider à la cuisine dans un camp scout. J'ai dû passer par la SQ pour me procurer le fameux certificat. Combien de cas de pédophilie ont été recensés, chez les scouts du Canada? Combien de pédophiles a-t-on découverts par cette nouvelle politique?»

Troisième correspondante, une mère de famille: «Nos deux enfants vont dans une école de la CSDM où les parents s'engagent à «donner» 20 heures par enfant par année. Ce peut être en participant au comité de parents, en aidant les classes à monter des projets, en préparant la fête de la rentrée, ou encore en recouvrant des livres à la bibliothèque, en faisant la lecture aux plus petits...»

Importante nuance, toutes ces activités se font «en groupe», et en public. «À titre de parents bénévoles, nous ne sommes jamais seuls avec un enfant, nous nous occupons toujours de plusieurs enfants à la fois.» N'importe. Cette année, «tous les parents ont dû remplir un questionnaire afin qu'une recherche soit menée sur leurs antécédents judiciaires».

«J'avais demandé à un couple de nos amis, maîtres chocolatiers, de venir offrir bénévolement un atelier sur le moulage du chocolat. Cet atelier devait durer une heure, devant une douzaine d'enfants. Eux aussi devaient passer par le processus! Heureusement, l'école a décidé qu'on n'irait pas jusque-là.»

Conclusion de cette mère de famille: «On dit familièrement que trop, c'est comme pas assez. Je suis d'avis que nous sommes dans le trop!»