Il devrait y avoir des limites à la paranoïa. Des limites, aussi, à l'intrusion de l'État dans les vies privées.

Dans le but (théoriquement louable) de dépister les pédophiles, le ministère de l'Éducation a chargé les corps policiers de vérifier les antécédents judiciaires du personnel du système scolaire. Cette fouille dans le passé de près de 200 000 Québécois (des enseignants aux concierges, en passant par les cuisiniers des cafétérias) a coûté jusqu'ici 6 millions de dollars depuis 2006.

Tout cela pour une récolte ridiculement mince: sur les 14 796 vérifications effectuées par la SQ, seulement 1214 antécédents judiciaires ont été relevés... dont moins de 200 pour des infractions de nature criminelle, le plus souvent des histoires de drogue, de petite fraude fiscale ou de conduite avec facultés affaiblies. On n'a trouvé que 18 cas «problématiques» (apparemment de nature sexuelle, mais dont on ignore la gravité).

 

Résultat analogue sur l'île de Montréal: 1143 antécédents judiciaires (le plus souvent mineurs) sur les 16 519 dossiers examinés par le service de police!

La lutte contre la pédophilie justifie-t-elle des enquêtes policières «préventives» qui seraient immédiatement matière à scandale si elles étaient appliquées à la lutte contre le terrorisme? Que dirait-on si la police scrutait les dossiers de tous les musulmans dans le but de débusquer de potentiels terroristes islamistes?

Certes, l'embauche dans certaines fonctions délicates (ainsi, le contact étroit avec des enfants), requiert des précautions particulières. Mais cette pêche à l'aveugle n'est même pas efficace: les quatre enseignants québécois accusés de pédophilie depuis deux ans n'avaient aucun antécédent judiciaire!

Les dossiers cheminent beaucoup. Ils sont envoyés aux commissions scolaires, qui en transmettent certains au ministère. D'où le risque de voir sa réputation détruite, voire d'être congédié si l'employeur est du genre à penser que les enseignants doivent être des gens parfaits et infaillibles parce qu'ils sont des «modèles». Tout cela, pour une infraction banale et ancienne... Les policiers ont des tâches plus utiles à effectuer que ces vérifications oiseuses.

Il en va même du bien des enfants, ces enfants que l'on surprotège, de nos jours, jusqu'à l'absurde. Je connais des gens qui ne laissent pas leur fille de 10 ans aller seule à la pâtisserie qui est à quatre pâtés de maisons de leur domicile; d'autres qui ne laissent pas leur fils de 14 ans faire 100 mètres à pied dans un village, passé 20h.

Une fois adultes, ces enfants-là, héritant de la fantasmagorie de leurs parents, verront des pédophiles sous tous les lits et du harcèlement sexuel dans les gestes les plus anodins.

Dieu sait que mes parents étaient du genre protecteur, mais toute petite, je marchais seule pour aller à l'école, qui était à une bonne vingtaine de minutes de la maison. Entre fillettes, on se faisait peur en se racontant des histoires de «maniaques», mais nos parents nous avaient dit quoi faire si un étranger voulait nous aborder. À 10 ans, mon neveu galopait seul dans le métro de Montréal; c'est aujourd'hui un citoyen du monde, capable de se débrouiller n'importe où.

Hélas, l'époque est à la frilosité. Tout fait peur, des pesticides à l'air qu'on respire, l'ironie étant que dans cette atmosphère aseptisée, les allergies (aux arachides, aux acariens, aux pollens, au gluten, alouette) se multiplient.

La notion de risque, pourtant inhérente à la vie en société, et la notion de danger, pourtant inhérente à la vie sur Terre, doivent être évacuées, annihilées. C'est illusoire et stupide. On ne le dira jamais assez, le mieux est l'ennemi du bien...