Dans un bel élan de solidarité, Québec inc. a resserré les rangs autour de l'ancien patron de la Caisse, lequel plaide l'impuissance. Le pauvre, que pouvait-il faire? Qui pouvait prévoir la débandade du papier commercial?

Il faudrait lui répondre en empruntant à Brian Mulroney la fameuse répartie qui lui avait fait gagner le débat contre John Turner: «Yes, Sir, you had an option. You could have said «no»!» M. Rousseau, vous aviez une option, vous auriez pu dire non! Vous auriez pu refuser d'acheter du «papier commercial».

 

Impensable? Pas du tout, puisqu'il y a, au Canada, un banquier qui l'a fait. En mai 2005, Edmund Clark, président et chef de la direction de la TD, annonçait que sa banque sortirait du marché des produits dérivés et des titres adossés à des créances douteuses. En dépit de son doctorat de Harvard en économie, M. Clark ne comprenait rien aux explications des courtiers qui tentaient de lui vendre cette fabuleuse mine d'or si populaire dans les milieux financiers.

«Je suis un banquier à l'ancienne mode, dira-t-il plus tard. Je ne crois pas que l'on doive se lancer dans des produits qu'on ne comprend pas, en espérant que quelqu'un, quelque part, sait de quoi il s'agit.»

Il a passé des heures à écouter des experts qui tentaient de le convaincre... mais n'a pas bronché: «L'affaire était trop risquée.»

Il a ordonné aux conseillers financiers de sa banque de s'abstenir de vendre ce type de produits à la clientèle. Les conseillers financiers étaient furieux, et les clients aussi, car ils en voulaient tous, de ces obligations qui rapportaient si bien. N'importe. M. Clark a tenu bon. Et n'a qu'à s'en féliciter aujourd'hui...

Autre question sur laquelle Henri-Paul Rousseau aurait dû prendre exemple sur Edmund Clark: cette année, au moment où ce dernier se voyait reconduit dans ses fonctions jusqu'en 2013, il a fait annuler la clause de son contrat qui lui accordait une prime de départ «indépendamment des circonstances». Cette prime avait une valeur potentielle de 10,1 millions.

C'est un scrupule que n'a pas eu M. Rousseau, lui qui a empoché - et refusé de rembourser - une prime de départ de 380 000$, l'année même où la Caisse perdait 40 milliards, résultat d'une gestion à laquelle il avait présidé depuis 2002.

On dira, dans ces milieux-là, que 380 000$ c'est une «pinotte», et que M. Rousseau, qui n'a reçu «que» 1,6 million (salaire de base plus une prime de 1,1 million) en 2007, était un sans-abri à côté du patron de la TD, qui a gagné 7,9 millions en 2004...

Mais tel n'est pas le calcul de Monsieur-tout-le-monde, le salarié moyen dont la Caisse devait protéger les intérêts... Pour lui, 380 000$ représentent plus de six années de travail.

Atypique, l'histoire de ce banquier qui, au lieu d'écouter les sirènes, a eu le réflexe de se méfier des produits miracle trop complexes pour être décodés.

Sous-ministre fédéral de l'Énergie entre 1974 et 1984, M. Clark fut le grand artisan du Pacte national de l'énergie, qui allait priver l'Alberta d'une partie des revenus de ses ressources naturelles (et faire disparaître à jamais les libéraux de la carte de la province). Il quitta la fonction publique en 1985 pour entrer chez Merrill Lynch, à la grande surprise de ceux qui l'appelaient «Red Ed»...