Si le but réel des leaders de la violente grève qui a paralysé la Guadeloupe pendant sept semaines était de faire avancer la cause indépendantiste, il leur reste du chemin à faire. Un sondage du Figaro, réalisé au beau milieu de l'affrontement, montre que si 51% des Français de la métropole, excédés, en sont venus à favoriser à 51% l'indépendance de la petite île qu'ils sont lassés d'entretenir, les Guadeloupéens, par contre, refusent la sécession dans une proportion de 80%.

Cela n'a rien de neuf. Les tentatives indépendantistes, aux Antilles, se sont toujours heurtées au refus d'une forte majorité. Quant à la Martinique, le militantisme politique y a toujours été moins développé. Serait-ce dû au fait que la ségrégation raciale y a été moins radicale et que des conditions particulières auraient donné naissance à une bourgeoisie noire plus nombreuse? À l'oeil, en tout cas, les Martiniquais forment un peuple plus métissé et plus ouvert à l'étranger que les Guadeloupéens. Il n'empêche qu'à Fort-de-France, vendredi dernier, une violente manifestation a accueilli le convoi de chefs d'entreprise venus plaider pour la réouverture des zones industrielles bloquées depuis un mois. La rumeur que des «békés» étaient au premier rang du cortège a mis le feu aux poudres.

 

Ce n'est pas sans raison que les «békés» - les descendants des colons blancs jadis propriétaires d'esclaves - sont le bouc émissaire des grévistes. Alors qu'ils ne forment qu'un pour cent de la population, ce petit groupe compact de vieilles familles blanches, bien branchées sur l'appareil politique, contrôle 40% du secteur privé, dont l'agro-alimentaire, le reste étant aux mains d'investisseurs de la métropole. C'est aux «békés» que l'on s'en prend si le prix d'une bouteille de jus de mangue ou même les bananes - parmi les rares produits locaux - sont plus chères qu'en métropole.

Grosso modo, les Antillais ne consomment que des produits importés. La plaquette de beurre coûte 93% de plus qu'en métropole, le paquet de biscottes, 113%... et rien n'a été fait pour les libérer de leur dépendance économique. Ainsi, rappelait récemment Michel Rocard, Paris privilégie le sucre de betterave plutôt que le sucre de canne, pour encourager les agriculteurs du nord de la France. Et l'exportation massive de produits de consommation dans les îles a fait l'affaire de bien des entreprises françaises...

Mais c'est un peu l'oeuf et la poule. Car la dépendance est aussi le résultat des privilèges dont bénéficie la fonction publique autochtone: les Antillais ont droit à la «prime d'éloignement» - une majoration de salaire de 40%! -, à l'origine conçue pour inciter les professionnels métropolitains à s'installer dans les îles. Tout comme les Métropolitains délocalisés, les Antillais travaillant en France bénéficient, outre les congés réguliers, de 65 jours de vacances supplémentaires pour leur permettre de retourner au «pays»!

Résultat, tout le monde veut être fonctionnaire, et c'est effectivement le statut de la majorité de la population active.

Si c'est la baisse du pouvoir d'achat qui a causé les grèves qui bouleversent les départements d'outre-mer français, il y a, à la racine de la colère, un sentiment identitaire. Un sentiment qui, faute de s'exprimer par la revendication indépendantiste, peut facilement être détourné vers une sorte de racisme anti-blanc stérile et destructeur... un sentiment qu'Elie Domota, le chef charismatique des grévistes guadeloupéens, ne se prive pas d'attiser, lui qui prédit qu'un jour, «la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane auront leur propre drapeau». À défaut de faire l'indépendance pour changer le système, croit-il, l'indépendance viendra de l'effondrement du système...