Jack Layton est furieux, Gilles Duceppe tempête. Qu'importe: Michael Ignatieff a gagné son pari. Son parti monte dans les sondages, et ce, même au Québec où flotte encore une petite nostalgie pour ce projet insensé de coalition.

Surtout, en prenant ses distances d'avec le NPD, le nouveau chef libéral a ramené son parti au centre, là où il aurait toujours dû rester, car c'est là que résident non seulement sa vocation naturelle, mais aussi ses chances de revenir au pouvoir. Stéphane Dion avait poussé le parti vers les marges, au point où, durant la campagne électorale, le PLC avait perdu son identité de grand parti de centre-gauche pour devenir, avec le NPD et les Verts, une simple partie de «la gauche», un déplacement qu'allait confirmer son empressement à embarquer dans le projet de coalition mijoté par MM. Layton et Duceppe.

 

C'était une stratégie d'autant plus dommageable qu'en se positionnant à la droite de l'échiquier politique, les conservateurs avaient abandonné le vaste espace du centre modéré, qui correspond aux attentes de la majorité de l'électorat. Raison de plus pour que le PLC revienne s'installer dans ce créneau gagnant. Il semble qu'avec Ignatieff, ce soit chose faite.

Pour le PLC, il aurait été extraordinairement stupide de faire tomber le gouvernement Harper deux mois après les dernières élections. Et encore plus stupide (à supposer que la gouverneure générale y consente) de se lancer dans l'aventure d'une coalition dont le Canada anglais ne veut pas entendre parler, et dans laquelle le «premier ministre Ignatieff» aurait eu les mains liées par deux partenaires irascibles, revendicateurs et marginaux. (Le Bloc ne compte qu'au Québec, ailleurs il n'existe pas). C'est une mascarade à laquelle Stéphane Dion était prêt à se livrer parce qu'il n'avait plus rien à perdre, et que cela lui aurait au moins donné la chance de terminer sa brève carrière de leader dans le fauteuil du premier ministre. Mais pour Ignatieff, qui a l'avenir devant lui, ç'aurait été une pure folie.

Ce dernier a quand même bien joué ses cartes. Même s'il était clair depuis le début que la coalition n'était pas sa tasse de thé, il n'a pas condamné l'idée, histoire de faire pression sur le gouvernement Harper. Le chantage a marché, puisque le budget de mardi est un clone de ce qu'aurait fait le PLC.

Les libéraux auront besoin de plusieurs mois pour se ressourcer, se réorganiser et réalimenter leur caisse électorale. Ils seront peut-être en bonne position, l'automne prochain, pour renverser le gouvernement.

On ne s'étonnera pas de voir le PLC remonter au Québec, comme l'indique le sondage CROP publié dans La Presse de jeudi. C'était prévisible, avec le remplacement de Stéphane Dion par un nouveau chef à qui les Québécois n'ont (pour l'instant!) aucune raison d'en vouloir.

Chose certaine, le PLC a remplacé le Parti conservateur comme premier parti fédéraliste au Québec. Il le devance d'une bonne quinzaine de points. Mais ces chiffres sont illusoires. Parmi les 31% d'électeurs qui voteraient libéral ces jours-ci, combien y en a-t-il qui se trouvent dans les circonscriptions à majorité non francophone de la région montréalaise? Si l'on ne regarde que le vote francophone, celui qui détient la clé de la majorité des comtés, on voit que le Bloc reste maître du jeu, avec 40% des appuis, contre 26% aux libéraux et 15% aux conservateurs.

Pour le nouveau chef libéral, la meilleure nouvelle de ce sondage est son score personnel: c'est lui qui, pour 37% des Québécois, serait le «meilleur premier ministre», tandis que Harper récolte un maigre 16% d'appuis. À suivre...