Les plus belles images de mon album-souvenir: la mer de monde, ce bel océan humain qui déferle devant le Capitole.

La joie des Noirs, l'émotion de John Lewis, le vétéran de la lutte contre la ségrégation.

Les deux petites, mignonnes à croquer. Sasha, qui lève le pouce pour dire «bravo papa!». Malia, qui, bien que tous les médias de la planète diffusent à l'instant même des photos de l'événement, veut prendre, sur son propre appareil photo, ses propres photos de l'homme qui est d'abord et avant tout son papa.

 

Michelle, éblouissante dans ses brocarts dorés, reine noire entrant à la Maison-Blanche avec la simplicité souriante de la voisine d'à côté...

Et puis, l'image inoubliable: lui, s'avançant sobrement vers le podium, déjà isolé malgré l'aréopage qui l'entoure, seul comme le sont tous les chefs d'État, celui-ci a fortiori. Solidaire de ceux qu'il appellera tout à l'heure ses «fellow citizens», ses concitoyens, mais solitaire. Il se tient tout droit, mais il a l'air frêle, presque fragile. Plus tard, durant la prière, on voit les muscles de ses mâchoires se tendre. Il a les yeux fermés et les mains croisées sur les genoux. Je pense qu'il prie, car je ne suis pas assez cynique pour croire que toutes ses protestations de foi qu'il multiplie depuis des années sont une comédie, une simple façon d'amadouer l'électorat conservateur. Peut-être aussi pense-t-il à son ancien mentor et ami, le pasteur Wright, celui qui aurait béni cette inauguration, n'eussent été ses déclarations racistes qui ont forcé Obama à renier une amitié vieille de 20 ans.

«My fellow citizens...». Voici les États-Unis dans ce qu'ils ont de meilleur. Obama, pur produit de cette grande machine à intégrer les nouveaux venus, va prêter serment non pas dans un salon de la Maison-Blanche - comme le font, sous les ors de l'Élysée, les présidents français héritiers des monarques - mais sur le parvis de la maison du peuple qui abrite les deux chambres où siègent les élus.

Enfin, le discours. Habile mixture de réalisme et de lyrisme, discours incantatoire, proche des sermons qu'on entend dans les églises baptistes: la psalmodie, les références bibliques, les analogies cosmiques qui feraient rire si elles n'étaient prononcées avec autant d'éloquence... Ce genre de discours s'écoute en se balançant, en marquant le rythme de la phrase avec les mains, en scandant les mots-clés de concert avec le pasteur.

Les images à oublier... La décevante prestation d'Aretha Franklin. Sous son invraisemblable chapeau, l'ancienne «reine du soul» a perdu la voix qui naguère vous chavirait le coeur. Pour le florilège musical, il valait mieux écouter le show de dimanche, devant le Lincoln Memorial.

Les symboles un peu trop appuyés: un quatuor formé d'un Chinois (Yo-Yo Ma), d'un Juif (Yitzhak Perlman), d'un clarinettiste noir et d'une pianiste hispanophone... C'était très bien, mais fallait-il autant de points sur les i?

La récitation d'un poème insignifiant par son auteure. Il aurait pourtant été facile, dans le prodigieux répertoire américain, de trouver un grand poème et une grande voix pour le lire.

À oublier, surtout: la «bénédiction» du pasteur Rick Warren, un démagogue dont l'un des titres de gloire est d'avoir été à l'origine de la résolution annulant les mariages gais en Californie. Quel torrent de protestations ce choix n'aurait-il pas entraîné s'il avait été celui de Bush! Mais l'amour est aveugle...

Les États-Unis, derrière leur apparente convivialité, sont un pays difficile à saisir. C'est un terreau complexe, où la foi se conjugue à la tolérance. C'est de loin le pays le plus accueillant pour toutes les religions de la Terre (y compris pour ceux qui n'en ont pas), mais c'est aussi un pays aux racines protestantes, très fondamentalement chrétien. Oublions la couleur de la peau, la vraie révolution serait d'y voir accéder à la présidence un non-chrétien.