À peu près tout le monde s'entend pour dire qu'Israël a le droit de se défendre, comme le réitérait jeudi avec une louable fermeté le chef libéral Michael Ignatieff.

La dissension survient à propos des moyens. L'affirmation qui revient inlassablement, c'est qu'Israël aurait utilisé une force «disproportionnée» - soit les outils d'une armée moderne pour combattre des armes relativement primitives, en tout cas assez faciles à produire, comme les roquettes lancées par le Hamas à partir de Gaza.

 

D'abord, une précision: tout artisanaux soient-ils, ces missiles détruisent et tuent. La plupart des soldats canadiens tombés en Afghanistan ont été victimes de bombes dites artisanales. Leurs dommages n'en sont pas moins réels. Comme l'intention avouée et claironnée du Hamas est de semer la mort en Israël, y compris chez les civils (tous coupables d'avoir été à un moment donné conscrits dans Tsahal), on peut supposer que si les fabricants de roquettes pouvaient mieux cibler leurs tirs, elles seraient encore bien plus létales.

Mais revenons à cette fameuse «disproportion». Israël, selon cette théorie, aurait utilisé une force démesurée pour combattre une menace mineure - un canon pour détruire un nid de guêpes, comme l'illustrait une caricature du Devoir.

Admettons. Mais alors, quels moyens exactement aurait donc dû prendre l'État hébreu face à des tirs de missiles qui se succèdent depuis des années et qui, le matériel étant de plus en plus perfectionné, ont maintenant une portée de plus en plus grande, atteignant des villes qui leur étaient inaccessibles l'an dernier?

Israël devrait-il se contenter d'envoyer ses soldats lancer des pierres à Gaza, dans une Intifada à rebours? Répliquer avec des roquettes artisanales lancées à partir de Sderot? Peut-être Israël devrait-il transformer quelques-uns de ses enfants en bombes humaines et les envoyer se faire exploser dans les villes gazaouies, histoire d'utiliser les mêmes moyens que le Hamas? Ou encore, attendre sagement que l'Iran et la Syrie, qui sont les commanditaires du Hamas et du Hezbollah, aient permis à leurs filiales terroristes de disposer d'armements aussi sophistiqués que ceux de Tsahal?

Autant de questions posées récemment dans Le Monde par le philosophe André Glucksmann, qui ajoute sur un mode dérisoire que tant qu'à égaliser les moyens, on pourrait peut-être égaliser les fins: «Puisque le Hamas, à l'encontre de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, s'obstine à refuser de reconnaître le droit d'exister de l'État hébreu et rêve d'annihiler ses citoyens, voudrait-on qu'Israël imite tant de radicalité et procède à une gigantesque purification ethnique? Désire-t-on vraiment qu'Israël en miroir se «proportionne» aux désirs exterminateurs du Hamas?»

«Chaque conflit est par nature «disproportionné», poursuit Glucksmann. Si les adversaires s'entendaient sur l'usage des moyens et sur les buts revendiqués, ils ne seraient plus adversaires. Qui dit conflit dit mésentente, donc effort de chaque camp pour jouer de ses avantages et exploiter les faiblesses de l'autre...»

Ainsi, alors que Tsahal utilise au maximum sa supériorité technique pour cibler ses objectifs et essayer d'éviter les pertes civiles, le Hamas utilise son mépris foncier de la vie humaine pour installer ses armements parmi les civils, de façon à utiliser les morts - surtout, bien sûr, les femmes et les enfants - comme puissante arme de propagande. On n'a qu'à voir les photos autorisées par le Hamas. Comme celles qui sortaient du Liban en 2006, elles mettent en scène de beaux enfants terrifiés ou des victimes dignement présentées, sans le côté «gory» qui compromettrait leur publication dans la presse occidentale. (On remarquera qu'il ne sort jamais de Gaza de photos où apparaîtraient des rampes de lancement... soit que les photographes palestiniens sur place s'abstiennent de les photographier, soit que le Hamas le leur interdit.)

On exige d'Israël une retenue qu'on n'exige jamais des pays engagés dans des conflits armés. À quelle armée, où que ce soit au monde, a-t-on reproché d'utiliser sa puissance de feu quand il s'agissait de défendre le territoire national? Si la Cisjordanie est une région occupée, le Sud israélien ciblé par le Hamas est bel et bien un territoire national. Encore une fois, comme la chose se produit si souvent quand il est question d'Israël, c'est deux poids, deux mesures.