Samedi, on a franchi le cap fatidique du chiffre 100. Trois autres soldats canadiens sont tombés. Toujours le même macabre scénario: une bombe artisanale a fait exploser leur véhicule blindé. Le bilan des pertes canadiennes en Afghanistan, le plus lourd après celui des États-Unis et de la Grande-Bretagne, s'élève maintenant à 103 morts. Sans compter les dizaines de jeunes gens revenus au pays handicapés pour la vie. Et le nouveau chef des Forces canadiennes, le général Walter Natynczyk, ne cache pas que la violence augmentera en 2009...

En fait, l'Afghanistan est devenu un pays plus dangereux que l'Irak, où règne actuellement un semblant d'ordre. (À tout prendre, mieux vaut se faire attaquer par des lancers de chaussures que par des armes!)

 

Les efforts des troupes de l'OTAN semblent n'avoir fait que stimuler l'ardeur belliqueuse des talibans, pendant que la criminalité, le commerce de l'opium et la corruption, endémique à tous les niveaux, continuent à dévaster le pays.

Beaucoup d'observateurs, qui ne sont pas des pacifistes à tout crin, commencent maintenant à se demander s'il n'est pas temps de se retirer de ce vortex où vont se perdre les meilleures volontés, et à renoncer au rêve de transformer une société médiévale en démocratie moderne. Bâtir des écoles pour filles? Très bien... jusqu'au moment où l'école est incendiée, jusqu'au moment où un gang de fanatiques attaque des écolières en leur lançant des jets d'acide aux yeux. Organiser des élections? Fort bien... jusqu'au moment où le gouvernement élu retombe dans les pratiques ancestrales fondées sur la loi du clan et la corruption.

Mais en vérité, ce n'était pas au nom de la libération de la femme ni au nom de la démocratie que l'OTAN a envahi l'Afghanistan. C'était essentiellement pour détruire les bases terroristes d'Al-Qaeda qui étaient abritées par le régime taliban, et prévenir d'autres attentats analogues à ceux du 9-11.

Or, cette mission est accomplie, affirme Doug Saunders, l'un des plus fins analystes du Globe and Mail, qui a longuement visité les bases américaines, britanniques et canadiennes.

Il est impossible, explique-t-il, que de futures attaques terroristes partent d'Afghanistan... pour la simple raison que les opérations d'Al-Qaeda (ou ce qui en tient lieu) se sont déplacées au Pakistan.

Le reporter Graeme Smith, du même journal, a interviewé des douzaines de militants talibans; il n'en a trouvé aucun qui ait exprimé de sympathie pour Al-Qaeda, qui est d'ailleurs vu comme un autre envahisseur étranger. Les talibans, aussi détestables soient-ils, n'ont pas de motifs idéologiques d'en vouloir à l'Occident tant qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent chez eux, et s'ils sont capables de planter des bombes sur le passage des chars de l'OTAN, ils n'ont ni l'intention ni la capacité de planifier des attaques à l'étranger. Le «talibanisme», c'est une alliance de chefs de clan souvent illettrés, de criminels ordinaires et de chômeurs analphabètes unis par des croyances religieuses archaïques. Dans ce contexte, toute victoire militaire est impossible, et toute présence militaire étrangère ne sert qu'à maintenir vivace la tentation terroriste.

Même son de cloche du côté de Joe Klein, le chroniqueur du Time qui revient lui aussi d'Afghanistan. «Cette guerre est devenue une absurdité sans objectif», écrit-il dans le numéro du 11 décembre.

Une fois la menace d'Al-Qaeda évanouie, la mission de l'OTAN s'est transformée, dit-il, en «un vaste effort désordonné de reconstruction nationale (nation-building)», une mission logique sur papier - Al-Qaeda ne pourrait se regrouper dans un Afghanistan prospère et démocratique - mais totalement irréaliste, dans la mesure où ce pays n'a jamais connu de gouvernement centralisé et reste composé de tribus rivales qui ne s'allient que face à un envahisseur étranger.

Le président élu Obama compte pourtant envoyer des renforts en Afghanistan, tout comme d'ailleurs le Canada, à une échelle moindre. Pour Joe Klein, c'est d'abord le Pakistan qu'il faut cibler - un pays qui possède l'arme nucléaire et dont les institutions, à commencer par les services de renseignements, sont noyautées par les radicaux islamistes. C'est là, pas dans les montagnes désertiques de l'Afghanistan, que se trament désormais les attaques terroristes, comme on l'a vu en Grande-Bretagne et plus récemment à Bombay.