Le nouveau chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, a du pain sur la planche. Il doit à la fois regagner le terrain perdu au Québec depuis le scandale des commandites, et rebâtir le parti dans les provinces de l'Ouest à partir de presque rien.

Normalement, la première tâche devrait être moins difficile, l'Ouest étant depuis des décennies une terre hostile aux libéraux. La dernière récolte y a été désastreuse: cinq sièges (sur 36) en Colombie-Britannique, zéro en Alberta, un seul en Saskatchewan et un seul au Manitoba...

 

Au Québec, M. Ignatieff dispose au contraire d'une base prometteuse, ayant été le candidat favori des délégués québécois au congrès de leadership de 2006. Il peut aussi compter, évidemment, sur ses châteaux forts montréalais. Mais c'est dans les circonscriptions francophones que le PLC doit faire des gains s'il veut retrouver un peu de son panache d'antan.

La semaine dernière, trois sondages distincts montraient que les conservateurs de Stephen Harper avaient connu une remontée imprévue, grâce à la désapprobation massive suscitée par le projet de coalition PLC-NPD. En fait, si des élections avaient eu lieu il y a quelques jours, M. Harper se serait retrouvé à la tête d'un gouvernement majoritaire avec quelque 45% des voix... et un appui minimal au Québec, seule province où l'idée de coalition était populaire.

Pour les Tories, la donne a complètement changé depuis la dernière campagne électorale. Jusque-là, M. Harper comptait sur le Québec, qu'il avait assidûment courtisé, pour y recueillir les sièges qui lui permettraient d'obtenir une majorité parlementaire. Mais ses minces acquis ont été dilapidés par sa très mauvaise campagne et la faiblesse de son équipe québécoise, les coups de butoir du gouvernement Charest, combinés aux assauts du Bloc, achevant d'effriter le fragile édifice.

À la mi-campagne, Tom Flanagan, le politologue albertain qui fut le mentor de Stephen Harper, affirmait que le Parti conservateur devrait désormais faire reposer ses espoirs sur les circonscriptions, assez nombreuses, où des blocs ethniques compacts détiennent la balance du vote. Cette clientèle, composée de citoyens issus de l'immigration, avait toujours été une chasse gardée du Parti libéral, mais les Tories ont tout fait pour la séduire, ces dernières années, et la tactique a marché. Autrement dit, le gouvernement Harper a moins besoin du Québec qu'auparavant.

Face, donc, à un PC très fort dans l'Ouest et de mieux en mieux établi en Ontario, le PLC ne peut compter que sur ses bases urbaines, et aura absolument besoin d'appuis substantiels au Québec pour espérer former le prochain gouvernement. Comme le signalait notre collègue Joël-Denis Bellavance, M. Ignatieff a pris contact avec Jean Charest l'après-midi même des dernières élections provinciales, pour lui souhaiter bonne chance...

Le nouveau chef fédéral entend profiter du froid sidéral qui s'est établi entre MM. Harper et Charest pour nouer des liens informels avec le PLQ. Mais M. Ignatieff risque de se heurter aux mêmes obstacles que M. Harper, quand M. Charest s'amènera avec sa liste de «demandes», dont certaines sont tout simplement irrecevables pour quelque parti fédéral que ce soit. Même si le nouveau chef libéral a été le premier à parrainer le concept de la «nation québécoise», il y a des limites aux concessions qu'il pourra faire au Québec, sans quoi il risquerait de s'aliéner sa base ontarienne et de voir s'éteindre tous ses espoirs de faire des gains à l'ouest de l'Ontario.

En fin de semaine, un sondage d'Ipsos montrait que l'élection de M. Ignatieff avait permis au PLC de réduire de trois points l'avance de M. Harper dans l'opinion publique. On verra plus tard si cela est l'amorce d'un mouvement de fond ou s'il ne s'agit que de l'effet nouveauté.

Quelles sont les chances de M. Ignatieff de séduire les Québécois? Il est beaucoup trop tôt pour le savoir, encore qu'il paraisse assez évident que de tous les candidats potentiels au leadership libéral, c'est lui qui est le mieux placé pour ce faire. Mais ce n'est qu'avec le temps qu'on verra s'il a l'instinct politique et l'autorité morale nécessaires pour mener à bon port le navire déboussolé du Parti libéral.