Ce fut le soir où la Terre a tremblé. Oui, on peut dire la Terre puisque la planète entière a vécu pendant quelques heures les yeux rivés sur les États-Unis. La Terre a tremblé quand le géant s'est réveillé, a bougé, s'est étiré et s'est puissamment redressé, propulsé par des millions d'électeurs pour réaliser cette révolution qui aurait été inimaginable il y a seulement 40 ans: une famille noire à la Maison-Blanche!

Les images, autant que les sondages, l'avaient annoncé: ces interminables files compactes d'électeurs noirs - des garçons qui n'avaient jamais voté, des femmes avec leurs bébés dans les bras, des hommes en sueur sous le soleil - attendant patiemment, pendant des heures, leur tour de déposer le bulletin dans l'urne.

Mais les Noirs ne sont que 10 % de la population. Il fallait aussi la formidable poussée de l'électorat blanc et hispanophone. Photo bouleversante parmi tant d'autres : un groupe d'ouvriers blancs, grassouillets, en t-shirts, la casquette renversée sur le crâne - ces «Joe six-packs» dont Sarah Palin se croyait la championne - tendant avec joie et confiance les bras vers Obama... Un leader noir pour un pays de Blancs.

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Le vote. La toute première pierre d'assise de la démocratie. Quiconque a suivi la lutte contre la ségrégation se rappelle que l'une des premières actions collectives de ce grand mouvement de libération - après les premières amorces d'intégration raciale dans les autobus et les écoles - fut l'inscription des Noirs du sud sur les listes électorales : la première des libertés civiles... Une tâche longue et ardue, qui était aussi une lutte contre l'analphabétisme et le fatalisme qui plombaient ce peuple d'anciens esclaves. Un lent, patient travail d'ensemencement, dont on voit enfin, aujourd'hui, le beau fruit mûr.

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Bien sûr, ceux qui s'attendent au miracle seront déçus. Cet homme n'est pas un sauveur et ne sera pas infaillible. On lui reprochera des gaffes et des compromissions. Mais déjà l'on pressent les retombées concrètes de cette victoire.

D'abord, la réhabilitation de la superpuissance américaine aux yeux du monde. Les États-Unis ont été diabolisés pendant huit ans - surtout depuis 2003, l'année de l'Irak - pour les terribles erreurs de jugement de l'administration Bush. Mais l'administration n'est pas le peuple.

La vague d'anti-américanisme féroce qui a déferlé partout était injuste, surtout quand elle prenait la forme de condamnations sommaires et stéréotypées: dominateurs, impérialistes, racistes, les Américains... Enfin, on tenait en mains le prétexte idéal pour le condamner, ce peuple trop gros, trop riche, trop dynamique, trop sûr de lui. L'envie, on le sait, mène à toutes les dérives.

Racistes, xénophobes, les Américains ? Mais au fait, combien y a-t-il de députés, de préfets, de maires et de conseillers régionaux d'origine arabe ou africaine en France? Combien de musulmans, derrière les figures-alibi de Rachida Dati et de Rama Yade? Croyez-vous que le Royaume-Uni pourrait se donner un premier ministre d'origine pakistanaise issu de la plus grande minorité du pays?

Et chez nous? Un arabe ou même un juif de très vieille souche pourrait-il être premier ministre du Canada? Pas sûr. Un anglophone, même bilingue, pourrait-il être premier ministre du Québec? Encore moins sûr...

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La victoire de Barack Obama ne tient pas qu'à sa personnalité exceptionnelle ou à sa campagne - une campagne qui fut, faut-il dire, d'une efficacité sans aucun précédent dans l'histoire politique, une campagne qui conjuguait les meilleurs éléments de la culture américaine: l'imagination, le dynamisme, l'utilisation intelligente de la richesse, les techniques les plus avancées et une discipline de fer.

Cette victoire prend sa source dans le terreau même de ce pays qui fut la toute première démocratie au monde. Un pays fondé par des pèlerins épris de liberté, qui s'est prodigieusement enrichi par l'immigration et l'assimilation rapide des nouveaux arrivants, les réfugiés misérables débarqués à Ellis Islande autant que les plus grands cerveaux fuyant l'Allemagne nazie ou l'URSS. Un pays qui, exception faite de la tache indélébile de l'esclavage, a toujours cru que le succès n'est pas déterminé par la caste, et proclamé sa foi dans les valeurs du mérite et du travail.

Barack Obama avait le mérite et il a travaillé. Dans aucun autre pays n'aurait-il trouvé pareille récompense.