Ma belle-soeur new-yorkaise au téléphone. Comme ma belle-famille vote démocrate du berceau au tombeau, je présume qu'elle est heureuse de ce qui se passe. Mais non. «Il va se faire battre», dit-elle d'un ton fataliste.

- «Mais tous les sondages disent que...»- «Je n'y crois pas. Les gens ne disent pas la vérité. Il y a trop de racisme aux États-Unis.»

- «C'est ce que ton frère a longtemps cru, mais maintenant il croit qu'Obama va gagner.»

- «Même s'il a la majorité des voix», rétorque ma belle-soeur qui, de fataliste est devenue cynique. «Ils vont s'arranger pour truquer le vote comme en 2000, en Floride.»

Je me dis que ma belle-soeur, qui lit moins de journaux que moi, n'a pas vu tous les signes qui pointent vers une victoire d'Obama. Peut-être essaie-t-elle de conjurer le sort en prédisant la défaite de son candidat? Elle a été amèrement déçue en 2000, puis en 2004, elle a peur de l'être encore en 2008... Mais en même temps, j'ai un petit doute. Après tout, elle vit là-bas, elle est américaine. Y aurait-il quelque chose qu'elle sentirait et qui m'aurait échappé?

Ce jour-là, justement, Reuters affirme qu'Obama a reculé d'un point. Cinq points d'avance, ce n'est pas une masse, même si les chiffres, au niveau des États, pointent tous vers une défaite de McCain... lequel se dirigerait vers une retraite bien méritée avec sa Barbie liftée, tandis que l'autre, sa «Caribou Barbie» (c'est ainsi que la chroniqueuse Maureen Dowd surnomme Sarah Palin) s'en irait animer un talk-show au réseau Fox.

Oui, tout - les chiffres, l'atmosphère, même les organisateurs de McCain qui ne cachent plus leur pessimisme - semble annoncer la victoire d'Obama. Même ce fameux «effet Bradley», selon lequel les sondages sous-estiment l'ampleur des préjugés raciaux, est remis en question par des experts qui affirment que les choses ont changé depuis 1982, et que la crise économique a repoussé au second plan le malaise suscité par l'origine d'Obama.

Il n'empêche que, comme le professait Yogi Berra, «it ain't over 'till it's over». Les jeux ne sont pas faits. Chaque jour, on scrute les sondages à la loupe. Ils fluctuent, aujourd'hui on est à sept points... Mais il reste huit jours. Huit jours, c'est long. Tout peut arriver.

Il y a des hypothèses à écarter, comme le risque qu'un effroyable scandale vienne éclabousser le candidat démocrate. S'il restait quelque chose à exploiter, le camp républicain l'aurait déjà sorti.

Que peut-il arriver? On ose à peine le formuler. Dans le Globe and Mail de samedi, le politologue Timothy Garton Ash aborde carrément cette hypothèse, sous un montage photographique qui donne froid dans le dos: côte à côte, Bobby Kennedy et Obama... Nous savons tous ce que cela signifie. Le lendemain, je vois dans La Presse une photo d'Obama dans un bain de foule, à Denver, pressé de toutes parts par des admirateurs, sans cordon de sécurité... Au moment précis où je viens d'écrire ces lignes, on apprend que deux skinheads néonazis projetaient d'assassiner Obama et de répandre la mort dans une école fréquentée par des Noirs.

Autre hypothèse: qu'à la dernière minute, un grand nombre d'électeurs ne puisse se résoudre à voter pour un Noir. Selon un récent sondage du New York Times et de CBS, le tiers des électeurs «connaissent quelqu'un» qui ne voudrait pas voter pour un Noir. Ce «quelqu'un» serait-il eux-mêmes?

A-t-on surévalué le racisme latent? L'a-t-on au contraire sous-estimé? On le saura le 4 novembre, mais en attendant, prenons la mesure de l'énorme bond que constituerait l'arrivée d'un Noir à la présidence.

On peut bien dire que partout ailleurs qu'aux États-Unis, Obama serait considéré comme un mulâtre. Mais regardez sa femme, une «vraie» Afro-Américaine celle-là (deux parents noirs, et des ancêtres esclaves). Regardez ses filles. C'est bien d'une famille noire qu'il s'agit. Que la Maison-Blanche soit occupée par une famille noire, et cela, même pas 40 ans après la fin officielle de la ségrégation, cela serait une révolution dont on ne peut nier l'ampleur.