Elle n’est ni carriériste ni maladivement ambitieuse, mais Sophie Brochu a confiance en elle. Au point qu’elle peut se permettre de faire un pas de côté et de quitter ses fonctions de PDG d’Énergir sans s’inquiéter pour la suite des choses. Personne ne se surprendra de la voir prochainement émerger dans un nouveau poste de commande ou même, pourquoi pas, devenir la première femme à diriger la Caisse de dépôt et placement du Québec.

C’est gros, ce que j’avance, me direz-vous, et vous avez peut-être raison, mais ça ne m’empêchera pas de vous soumettre une hypothèse qui m’apparaît quand même tout à fait plausible.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Après avoir passé 12 ans à la tête d’Énergir, Sophie Brochu quittera son poste de présidente et chef de la direction à la fin de l’année.

Dans le communiqué de presse annonçant son départ, Mme Brochu dit estimer que toute organisation a périodiquement besoin d’un regard nouveau à sa tête pour lui assurer un élan profitable et, après avoir dirigé durant 12 ans Énergir, que l’entreprise est maintenant prête à profiter d’une nouvelle impulsion.

Ma collègue Hélène Baril a par ailleurs rencontré Sophie Brochu, qui lui a expliqué le cheminement qui l’a conduite à vouloir prendre un pas de recul.

Mais se pourrait-il que le départ de Sophie Brochu d’Énergir ne soit en fait qu’une étape préparatoire qui lui permettra d’actualiser ses compétences pour affronter un énorme défi, comme celui d’assurer la direction de la Caisse de dépôt ?

Sophie Brochu s’est jointe à Gaz Métro en 1997 à l’invitation de son PDG Robert Tessier, qui est rapidement devenu son mentor. Sophie Brochu a d’ailleurs succédé à Robert Tessier en 2007 lorsqu’elle a pris la direction de Gaz Métro.

Robert Tessier est resté deux ans au conseil d’administration de Gaz Métro où il a continué d’épauler la nouvelle PDG. En 2009, Robert Tessier est devenu président du conseil d’administration de la Caisse de dépôt, où il a rapidement décidé d’embaucher Michael Sabia.

Robert Tessier est toujours président du conseil de la Caisse et doit évidemment préparer la relève ; le mandat de Michael Sabia prendra fin en mars 2021.

Robert Tessier connaît très bien les rouages de la Caisse de dépôt et il connaît aussi très bien les qualités et les compétences de Sophie Brochu.

À une époque où on ne cesse d’évoquer l’éternel plafond de verre qui empêche quantité de femmes d’accéder aux postes de haute direction, la nomination de Sophie Brochu au plus prestigieux poste de gestionnaire au Québec serait une belle façon de fracasser spectaculairement ce fameux plafond.

La capacité de transformer

J’ai rencontré quelques fois Sophie Brochu. Notamment au moment de sa nomination comme PDG de Gaz Métro en 2007, et pour la dernière fois en octobre 2014, lorsque la PDG avait fait une sortie en règle contre le projet Énergie Est qui voulait transformer le gazoduc qui relie le Québec à l’Ouest canadien en oléoduc.

« Ils veulent transformer notre gazoduc en oléoduc et construire un nouveau gazoduc qui aurait la moitié de notre capacité actuelle. Ça fait 30 ans qu’on finance cette infrastructure. TransCanada n’a qu’à faire payer les pétrolières », avait plaidé la gestionnaire en s’excusant d’être « pompée » comme elle l’était contre son principal partenaire commercial.

Ce qui m’a toujours frappé chez Sophie Brochu, c’est la force tranquille qu’elle dégage.

Cette confiance rassurante et communicative lui a notamment permis de transformer en l’espace de 10 ans la société Gaz Métro – jusque-là simple et banal « distributeur gazier » – en une société de portefeuille d’actifs diversifiés dans le secteur de l’énergie et qui souscrit totalement aux enjeux du développement durable.

Évoluant dans un environnement hyper réglementé, Sophie Brochu a élargi les horizons d’Énergir en se lançant dans la production et la distribution d’électricité au Vermont, dans la production d’énergie éolienne en partenariat avec Boralex et en triplant les capacités de production de gaz naturel liquéfié à son usine de l’est de Montréal.

Sophie Brochu a aussi toujours fait preuve d’un sens civique exemplaire en s’engageant à fond elle-même et en mobilisant les employés de son entreprise – dont le siège social est dans le quartier de Ville-Marie – dans de multiples causes, dont celles de l’itinérance et de la pauvreté.

Sophie Brochu a aussi été l’une des instigatrices et leaders du programme L’effet A, qui vise à favoriser le cheminement professionnel et l’ambition des femmes au sein des entreprises.

La Caisse de dépôt et placement n’a pas besoin d’un financier comme PDG. Michael Sabia en est l’exemple le plus éloquent.

La Caisse devra trouver un nouveau leader capable de mobiliser ses équipes de professionnels de l’investissement, d’assurer la cohésion et la cohérence de ses multiples interventions et de s’adapter aux tendances et aux constantes transformations des marchés.

Ça tombe bien, il y a justement une leader qui vient de se rendre disponible et elle a un an et demi pour se préparer à cet éventuel défi.