On a longtemps désigné le pétrole comme le nouvel or noir, en raison de la forte valorisation que le commerce de cette ressource naturelle hautement stratégique a générée au fil des ans. Au Canada, toutefois, le caractère nettement trop salissant de cet or noir lui a fait perdre de son lustre, ce qui n'est visiblement pas le cas du gaz naturel liquéfié, qui est en train de s'imposer comme le nouvel or liquide.

On le constate tous depuis quelques années déjà, le pétrole n'a plus une très grande cote d'amour au Canada. Les effets désastreux que la production et la consommation de pétrole peuvent induire sur les changements climatiques ne sont plus théoriques, de plus en plus de citoyens y sont confrontés dans leur réalité quotidienne et sont capables d'en mesurer l'ampleur.

Et ce n'est pas pour rien que coup sur coup, deux gros projets de construction de nouveaux oléoducs canadiens ont soit été abandonnés, soit fait l'objet d'un sauvetage désespéré par le gouvernement fédéral.

TransCanada, le promoteur du projet d'oléoduc Énergie Est, voulait acheminer le pétrole albertain vers un terminal maritime au Nouveau-Brunswick tout en ravitaillant les trois raffineries qui se trouvaient sur le passage de ce nouveau pipeline.

Ce projet d'investissement estimé à 12 milliards a été abandonné au printemps 2017 parce que son promoteur faisait face à un barrage d'opposition d'une multitude de villes et municipalités - dont Montréal -, de communautés et de groupes de toutes sortes.

L'entreprise américaine Kinder Morgan voulait procéder à l'expansion du pipeline Trans Mountain pour tripler le volume de pétrole albertain qui est acheminé vers la Colombie-Britannique, dans le but d'exporter la production excédentaire vers l'Asie.

Face à l'opposition de la Colombie-Britannique et de plusieurs communautés autochtones qui étaient contre ce projet d'expansion de 7,4 milliards, le gouvernement fédéral a décidé de racheter, en mai dernier, le pipeline Trans Moutain à Kinder Morgan, avec la volonté de relancer son expansion.

Ces deux projets majeurs ont échoué non pas pour des raisons financières, mais parce qu'ils avaient tout simplement été incapables de rallier une acceptabilité sociale minimale et néanmoins vitale pour pouvoir aller de l'avant.

LE JOUR ET LA NUIT

C'est tout le contraire que l'on vient de vivre en l'espace d'un mois seulement avec l'annonce de deux projets majeurs d'investissement qui touchent pourtant le même domaine des hydrocarbures, mais qui visent cette fois la production et l'exportation de gaz naturel.

Au début du mois d'octobre, un consortium international dirigé par Shell a annoncé qu'il avait décidé d'aller de l'avant avec un immense projet de 40 milliards en Colombie-Britannique pour la construction d'une méga-usine de gaz naturel liquéfié, dont la totalité de la production desservira presque exclusivement les marchés d'exportation asiatiques.

Shell s'est associée au groupe malaisien Petronas, au chinois PetroChina, au japonais Mitsubishi et au sud-coréen Korea Gas Corp pour réaliser le plus important investissement privé de l'histoire canadienne. Rien de moins.

L'usine de Kitimat, située à proximité de l'usine d'aluminium de Rio Tinto, produira annuellement 26 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié qui transiteront par navires vers l'Asie.

La construction de cette usine va entraîner la création de 950 emplois. Fait à souligner, l'annonce de cet investissement a été accueillie favorablement par les communautés autochtones et le gouvernement de la Colombie-Britannique.

Hier, on a eu droit au coup d'envoi du projet de l'entreprise Gazoduq, qui veut s'engager dans la construction d'un gazoduc qui reliera le nord de l'Ontario au Saguenay pour acheminer le gaz naturel de l'ouest du pays jusqu'à une usine de liquéfaction qui sera construite à Saguenay.

La valeur de ces deux projets combinés totalisera 14 milliards et deviendra ainsi le plus important investissement privé de l'histoire du Québec.

La production annuelle de 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié de l'usine de Saguenay sera elle aussi entièrement destinée à l'exportation vers les marchés de l'Europe où l'on cherche nettement à se détacher de la trop grande dépendance au gaz naturel russe.

Encore une fois, ce qu'il faut souligner ici, c'est que ce projet d'usine de transformation du gaz naturel en gaz liquide a reçu l'aval des communautés autochtones de la région et ne semble pas soulever jusqu'à maintenant d'objections de la population environnante.

On a beau parler ici d'investissements majeurs dans les hydrocarbures et de la construction de 750 kilomètres de conduites souterraines, contrairement au pétrole, le gaz naturel reste une matière première éminemment plus propre qui, même une fois transformée en gaz liquide, ne présente pas de risques de catastrophes environnementales.

Si un navire fait naufrage ou si sa cargaison de gaz liquéfié fait l'objet d'une fuite, le gaz liquéfié redevient automatiquement du gaz naturel qui s'évaporera ou qui se diluera dans l'eau sans affecter l'environnement.

L'or noir canadien se vend peut-être mal, mais l'or liquide canadien semble voué à un très bel et harmonieux avenir.

Photo Issei Kato, archives Reuters

Un bateau-citerne transportant du gaz naturel liquéfié quitte le Japon.

FILE PHOTO: An LNG tanker is seen off the coast of Singapore February 3, 2017. REUTERS/Gloystein/File Photo/File Photo/File Photo