La séquence d'événements est tellement grossière qu'il est difficile de ne pas croire que l'on vient d'assister à la réalisation d'un scénario planifié de longue date. Un an après avoir largué Aéroplan et entraîné la débâcle boursière de son programme de fidélisation de toujours, Air Canada revient sur sa décision et offre maintenant de l'acquérir à vil prix.

Bien, tiens, quelle aubaine, se sont dit subitement hier les dirigeants d'Air Canada en voyant que le titre d'Aimia, la maison-mère du programme Aéroplan, se négociait jusqu'à tout récemment aux alentours de 2,20 $. Ce serait le bon moment de formuler une offre officielle pour prendre le contrôle d'Aéroplan, ce qu'ils ont justement fait hier matin.

De facto, cela fait plus d'un an que le titre d'Aimia est en déroute et qu'il s'est même échangé sous la barre des 1,50 $, depuis qu'Air Canada a annoncé en mai 2017, à la surprise de tous, qu'elle allait mettre fin à son association avec le programme Aéroplan en 2020 pour lancer son propre programme de fidélisation.

Les raisons de ce divorce-surprise n'étaient pas claires au moment où Air Canada a annoncé sa décision, mais ses effets ont été immédiats. 

En l'espace d'une seule séance boursière, le titre d'Aimia, qui se négociait alors à près de 9 $, a chuté de 63 % pour clôturer à 3,33 $, gommant au passage près de 1 milliard en valorisation boursière.

Depuis 14 mois, le titre d'Aimia vivotait en attendant que la société précise de quelle façon elle entendait combler le départ de son plus prestigieux partenaire.

Coïncidence, Aimia a justement publié un communiqué la semaine dernière qui annonçait que les démarches entourant le remplacement d'Air Canada - par une multitude de transporteurs aériens prêts à accepter la conversion des points Aéroplan en billets d'avion de leur compagnie - allaient bon train.

Cette sortie de pétrin-surprise d'Aimia a probablement poussé Air Canada à formuler son offre d'hier et à préciser l'identité des partenaires, Visa, la Banque TD et la CIBC, avec qui elle compte prendre en charge les destinées d'Aéroplan.

UNE VOLTE-FACE SURPRENANTE

Il n'en reste pas moins que la décision d'Air Canada de redevenir associée au programme Aéroplan a de quoi surprendre. Il faut se rappeler qu'Air Canada a lancé Aéroplan en 2000 parce qu'elle souhaitait élargir son programme de fidélisation ciblant jusque-là exclusivement ses propres clients qui ne pouvaient échanger leurs points que contre des escomptes sur ses billets d'avion.

En 2002, en pleine déroute financière et opérationnelle, Air Canada a décidé de sortir Aéroplan de sa structure organisationnelle pour en faire une entité autonome et lui permettre de survivre aux deux années (2003-2004) de restructuration durant lesquelles le transporteur aérien a poursuivi ses activités sous la protection de la Loi sur la faillite.

En 2005, Aéroplan s'est totalement affranchie d'Air Canada en réalisant une émission d'actions qui a valorisé l'entreprise à 2 milliards. L'an dernier, Air Canada a décidé de rompre totalement les ponts en annonçant qu'elle ne ferait plus affaire avec Aéroplan et qu'elle allait lancer son propre programme de fidélisation.

Le PDG d'Air Canada a expliqué six mois plus tard que le transporteur aérien préférait créer son propre programme de fidélisation parce que les récompenses les plus populaires auprès de sa clientèle étaient les rabais offerts sur les vols internationaux.

Puisqu'Air Canada a considérablement élargi son réseau mondial au cours des dernières années, elle est davantage en mesure de livrer les récompenses les plus convoitées par ses clients. Voilà pour la version officielle d'il y a quatorze mois.

Qu'est-ce qui a poussé Air Canada à vouloir maintenant ramener Aéroplan dans son giron ? Les analystes sont d'avis que les coûts de développement d'un nouveau programme de fidélisation sont le principal argument qui a poussé Air Canada à revoir ses priorités.

La société aérienne veut donc miser dorénavant exclusivement sur les récompenses échangeables en rabais sur les billets d'avion et laisser à Aimia toutes les activités dites coalisées, soit les programmes de primes non aériennes qu'elle offre déjà à ses clients.

La guerre que se livrent les nombreux programmes qui cherchent à fidéliser les clients a passablement complexifié ce secteur d'activité. Après Air Canada, le détaillant d'essence Esso a annoncé au printemps dernier qu'il allait mettre un terme à son partenariat avec Aéroplan pour se joindre à la plateforme PC Optimum du détaillant en alimentation Loblaw.

Les actionnaires d'Aimia devront décider de l'avenir de leur entreprise, mais il y a fort à parier qu'ils préféreront être immédiatement récompensés par l'offre d'Air Canada, plutôt que de compter sur des promesses qui ne seront pas monnayables à court terme.

Infographie La Presse