Pour la première fois en 34 ans, Marc Dutil, PDG de Canam et fils du fondateur Marcel Dutil, n'a pas eu à consulter les cotes de la Bourse de toute la journée d'hier pour s'informer des fluctuations du titre de son entreprise.

Il n'aura d'ailleurs plus jamais à le faire puisque Canam s'est volontairement retirée du marché public à la suite de la fermeture du capital orchestrée par la famille Dutil, la Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité, qui contrôlent ensemble 40% des actions de Canam.

Le fonds américain American Industrial Partners (AIP), qui a racheté 60% des actions restantes de Canam, a payé 12,30 $ les actions qui s'échangeaient 6,20 $ la veille de l'annonce de la transaction, il y a trois mois...

Cette fermeture du capital survient au moment même où le marché des premiers appels publics à l'épargne reprend enfin un peu de tonus au Canada. La Bourse de Toronto a enregistré 16 nouvelles inscriptions à sa cote durant le premier semestre, son meilleur score en cinq ans.

L'an dernier, la Bourse de Toronto a connu sa pire année en 20 ans alors que seulement deux entreprises avaient procédé à un premier appel public à l'épargne.

Marc Dutil ne s'en cache pas, il vit la «désinscription» de Canam comme un réel soulagement et c'est avec un immense plaisir qu'il savoure ses premiers jours d'anonymat, lui qui a toujours travaillé dans une entreprise soumise à l'oeil du public, de la presse et des analystes.

«Le problème que Canam a toujours eu, c'est que le marché n'a jamais reconnu la valeur réelle de l'entreprise, et cela pénalisait nos actionnaires. Lorsqu'on a annoncé la transaction, notre action était à 6,20 $, ce qui donnait une valeur boursière équivalente à la moitié seulement de notre valeur aux livres.

«Les investisseurs ne veulent plus aujourd'hui des montagnes russes. Ils préfèrent investir dans les trains, ceux qui montent lentement. Chez Canam, on oeuvre dans un secteur qui est cyclique, saisonnier, mais on a quand même bâti une grande entreprise qui réalise un chiffre d'affaires de près de 2 milliards», souligne le PDG.

Un contexte changeant

Canam est devenue une société publique dans la foulée de la mise en place du Régime d'épargne-actions de Jacques Parizeau. Sa première émission d'actions, réalisée en 1984, a permis de récolter 9 millions.

«Quelque 4500 investisseurs ont participé à notre premier appel public à l'épargne. Ce n'était pas le gros capital, mais de petits investisseurs qui ont réalisé une souscription moyenne de 2000 $», dit Marc Dutil.

En 1984, 20 sociétés québécoises sont devenues publiques; en 1985, ce sont 58 entreprises qui ont émis des actions; et en 1986, pas moins de 135 sociétés de toutes tailles sont devenues ouvertes.

À ses premières années, Canam-Manac, son nom de l'époque, a obtenu de bons succès à la Bourse. L'entreprise était en mode acquisition et doublait son chiffre d'affaires chaque année.

À partir de 1987, à la suite du sérieux krach boursier, le titre de Canam n'a cessé d'évoluer dans un étroit corridor, entre 3 et 15 $, selon les cycles de l'industrie et l'humeur des marchés.

Marc Dutil observe qu'il est beaucoup plus facile d'obtenir du financement aujourd'hui et que l'entreprise sera à nouveau sous contrôle québécois d'ici quelques années, lorsque le fonds américain API décidera que c'est le bon moment pour lui de vendre.

Le PDG de Canam vit donc très bien cette nouvelle étape même s'il ne compulse plus machinalement son ordinateur pour vérifier le comportement du titre de Canam.

De fait, Marc Dutil a retiré la semaine dernière le titre de Canam de son application lui permettant de suivre l'évolution du marché boursier.

«J'ai gardé les titres de nos concurrents dans mon application, je continue de les suivre pour voir comment ils vont. Sinon, je consultais tous les jours le comportement de notre action en Bourse. Pas pour suivre sa valeur, je ne suis pas un actionnaire vendeur, mais pour évaluer le volume des transactions sur le titre.

«C'est un indicateur important. Surtout pour nous qui ne sommes pas des actionnaires de contrôle. Une activité inhabituelle sur le titre pouvait signifier que quelque chose se tramait», explique le PDG de Canam, qui n'a plus ce souci en tête et qui peut désormais dormir sur ses deux oreilles.