Après des années de crise et de vaches maigres, marquées par des rationalisations à répétition, des fermetures d'usines, des licenciements et des bilans rédigés à l'encre rouge, la société forestière Tembec affichait depuis deux ans une belle et surprenante vitalité. Un redressement qui l'a malheureusement rendue trop attrayante aux yeux d'une entreprise américaine de plus petite taille et aux assises financières plus solides.

Tembec a été fondée en 1973, dans la petite ville de Témiscaming, par l'entrepreneur Frank Dottori qui y avait relancé les opérations d'un moulin à bois désaffecté.

En moins de 30 ans, Tembec s'est imposée à force d'acquisitions et d'ouvertures d'usines pour devenir un acteur majeur de l'industrie forestière.

En 2000, Tembec trônait sur un réseau de 55 usines en Amérique du Nord, en Europe et jusqu'en Amérique du Sud, elle employait plus de 11 000 personnes et réalisait un chiffre d'affaires de plus de 4 milliards.

C'était tout juste avant l'éclatement de la pire crise à frapper l'industrie forestière canadienne.

Une crise qui a atteint son apogée au milieu des années 2000 dans la foulée de l'effondrement de la demande de papier journal, de la forte et soudaine appréciation du dollar canadien et de l'éclatement de la bulle immobilière américaine qui a littéralement décimé la production de bois d'oeuvre au Québec.

Tembec, comme tous les autres acteurs du secteur de la forêt, a mangé ses bas durant et après cette crise. L'entreprise a rationalisé ses opérations pour ramener de 55 à une douzaine le nombre de ses usines, alors que ses effectifs de 11 000 personnes à la belle époque ont été réduits à 3000 aujourd'hui.

Frank Dottori a quitté Tembec il y a une douzaine d'années, mais il a confessé hier que la vente de l'entreprise qu'il a créée à partir de Témiscaming - où il vit toujours - à des intérêts américains lui fait un pincement au coeur.

« J'ai toujours été un nationaliste économique. C'est important que l'on contrôle nos entreprises au Québec et au Canada et c'est pourquoi j'ai bâti Tembec. »

- Frank Dottori

« Là, on va perdre le contrôle et la direction de l'entreprise qui va être gérée des États-Unis, exactement comme ce que l'on a vu avec Alcan ou Domtar », se désole l'entrepreneur de 78 ans qui a racheté et relancé les opérations d'un moulin à bois abandonné à White River, dans le nord-est de l'Ontario.

UN SIÈGE SOCIAL DÉVITALISÉ

Les appréhensions de Frank Dottori sont non seulement pleinement justifiées, mais elles m'ont été confirmées - de façon bien candide - par le PDG actuel de Tembec, James Lopez.

M. Lopez est bien évidemment convaincu que Tembec va sortir gagnante de la transaction parce que son nouveau propriétaire, Rayonier Advanced Material, va lui permettre de faire partie d'un groupe industriel diversifié et beaucoup plus solide financièrement.

L'entreprise Rayonier, établie en Floride, est née dans le sillon de l'ancienne ITT-Rayonier qui exploitait une usine de papier journal sur la Côte-Nord.

Spécialisée dans la production de cellulose de grande qualité, Rayonier s'est intéressée à Tembec en raison de sa division de production de pâte de cellulose de Témiscaming qui totalise 30 % des revenus annuels de 1,5 milliard du groupe québécois.

« Notre acquéreur n'a pas d'opérations forestières et va donc garder intacts le siège social de Tembec à Montréal et ses divisions », insiste James Lopez, qui va toutefois quitter ses fonctions une fois que la transaction sera réalisée.

Le PDG de Tembec m'explique par ailleurs que Rayonier Advanced Material prévoit réaliser des économies de coûts de 50 millions en rapatriant en Floride toutes les activités connexes du siège social montréalais, soit les services d'avocats, de consultants, de fiscalistes et même d'administrateurs à son conseil d'administration. La direction financière sera aussi délocalisée aux États-Unis.

En d'autres mots, le siège social montréalais de Tembec deviendra un centre administratif régional. Il sera totalement dévitalisé et perdra toute la valeur ajoutée que génère un centre de décision exécutif dans son milieu de vie.

Frank Dottori constate lui aussi que cette transaction marque la fin de l'aventure Tembec, mais il se console en constatant que l'acquéreur reconnaît l'importance de l'usine de pâte de cellulose à Témiscaming et que son avenir et celui des 800 personnes qui y travaillent sont assurés pour des dizaines d'années.

infographie la presse