Le rituel est classique et il est habituellement orchestré de façon disciplinée, quasi militaire. Au début de chaque assemblée annuelle d'actionnaires, la direction de l'entreprise propose la liste d'administrateurs qui vont composer son conseil d'administration pour la prochaine année et demande aux actionnaires de l'approuver. L'adoption de la « slate » du conseil d'administration est en fait une pure formalité.

De mémoire, je n'ai jamais été témoin de la répudiation d'un administrateur à la suite de sa contestation par certains actionnaires qui s'opposent à sa présence.

Il peut arriver que la proposition de la « slate » de la direction suscite un débat entourant un candidat ou un groupe de candidats, mais une fois que la proposition est soumise au vote, son adoption passe comme une lettre à la poste.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu'en vertu des règlements qui encadrent l'élection des administrateurs de sociétés publiques, les actionnaires peuvent voter pour les candidats qui leur sont proposés, mais ils doivent s'abstenir de voter s'ils ne sont pas d'accord.

Ainsi, même si un administrateur contesté recueille le soutien de seulement 20 % des actionnaires, il peut siéger en toute quiétude au conseil d'administration puisque c'est le conseil qui a le dernier mot sur sa nomination.

Une situation qui n'est pas fréquente mais qui s'est produite dans le passé et qui, manifestement, ne se répétera plus puisque le gouvernement fédéral a déposé la semaine dernière le projet de loi C-25 qui vise à modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions, notamment le mode d'élection de leurs administrateurs.

Avec l'adoption de C-25, l'élection des membres du conseil d'administration des sociétés publiques qui opèrent sous une charte fédérale va se faire dorénavant sous le mode de la majorité absolue.

Les actionnaires vont pouvoir voter pour un candidat tout comme ils pourront exprimer leur désaccord en votant. Pour obtenir une place au conseil, les administrateurs devront recueillir plus de 50 % des votes exprimés.

L'application de cette règle de démocratie fondamentale était demandée depuis des années par les grosses caisses de retraite et par les investisseurs institutionnels qui souhaitent que les conseils d'administration défendent davantage les droits des actionnaires.

UNE PERTE D'AUTONOMIE

Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), ne partage pas l'enthousiasme manifesté par la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, qui représente justement les fonds de pension et les gros investisseurs institutionnels.

Selon lui, les conseils d'administration vont perdre de leur autonomie en étant soumis à l'« agenda » des actionnaires activistes qui veulent obtenir rapidement des résultats, au détriment d'une vision à plus long terme.

« Les investisseurs activistes sont toujours suivis par les investisseurs institutionnels qui veulent eux aussi optimiser leur rendement. Ils vont voter en bloc pour obtenir ce qu'ils cherchent », anticipe le spécialiste des questions de gouvernance.

Selon Yvan Allaire, l'adoption du mode électif à majorité absolue devrait être assortie de mécanismes pour atténuer l'impact des révolutions de conseil excessives. La loi devrait prévoir des garde-fous pour ne pas dépouiller les conseils d'administration de leurs responsabilités.

Chose certaine, les premiers administrateurs qui risquent de faire les frais d'une élection à la majorité absolue vont être les présidents des comités de rémunération qui auront été, aux yeux des actionnaires, trop débonnaires à l'endroit des hauts dirigeants de leur entreprise.

Les PDG deviendront également les cibles probables du vote à 50 %. Beaucoup de gros investisseurs souhaitent retirer aux PDG le droit de siéger au conseil d'administration de leur entreprise afin d'assurer une plus grande indépendance aux administrateurs. Les PDG peuvent et doivent assister aux réunions du C.A., mais on aimerait mieux qu'ils s'abstiennent de voter.

Selon la recension des plus gros sièges sociaux québécois que vient de réaliser Yvan Allaire, pour le compte de l'IGOPP, ce sont plus de 70 % des 69 entreprises qui opèrent sous la loi fédérale des sociétés par actions. Le changement de loi va donc toucher l'essentiel de nos grandes sociétés.

Au Québec, ce sont les plus petites entreprises qui sont encadrées par la loi provinciale. La loi québécoise, tout comme celle des autres provinces, va continuer d'appliquer le mode électif de la pluralité des voix pour le choix des administrateurs des sociétés publiques.