Heureusement qu'il y a la bière. De tous les secteurs manufacturiers qui ont marqué les deux derniers siècles de développement économique de Montréal, il n'y a que l'industrie de la transformation des produits laitiers et celle de la fabrication de bière qui ont survécu aux quatre révolutions industrielles qui se sont succédé dans le temps.

Dans ma chronique de samedi dernier, j'évoquais les plus récentes prévisions du Conference Board du Canada qui laissent entrevoir pour l'année en cours une croissance économique supérieure pour la grande région urbaine de Montréal à celle de l'ensemble du Canada.

Ainsi, le produit intérieur brut de Montréal devrait progresser de 2,3 % alors que le PIB canadien ne devrait augmenter que de 1,7 %, en 2016.

Toujours dans cette chronique, je soulignais qu'il ne fallait pas triompher outre mesure de la meilleure tenue prévisible de l'économie montréalaise, que cette bonne tenue attendue ne devait pas cacher les nombreux nuages qui obscurcissent le paysage montréalais.

Depuis le début des années 2000, la ville de Montréal a enregistré une érosion quasi constante de son tissu industriel alors que le nombre d'entreprises manufacturières a chuté de près de 40 % sur son territoire.

Les grands secteurs industriels qui ont jalonné l'histoire économique de Montréal durant le XIXe siècle ont pratiquement tous disparu. Les industries lourdes liées aux chemins de fer qui s'étaient installées le long du canal de Lachine n'existent plus. Les usines de chaussures et plusieurs usines de transformation alimentaire qui ont été à la base du peuplement du quartier Hochelaga ont été éradiquées.

Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l'Association des brasseurs du Québec, m'a écrit lundi matin pour me faire remarquer avec justesse que l'industrie de la fabrication de bière était pratiquement la seule à avoir survécu à l'épreuve du temps et des révolutions industrielles.

C'est évidemment la brasserie Molson qui est à l'origine de cette activité industrielle puisqu'elle est la plus vieille brasserie canadienne. Fondée en 1786 par John Molson, sur les lieux mêmes de la rue Notre-Dame où l'entreprise réalise toujours ses activités de brassage, avec près de 700 employés qui travaillent à l'usine.

Dans les années 50, la brasserie Labatt, fondée un siècle plus tôt en Ontario, a ouvert une brasserie au Québec, à LaSalle, qui abrite également son siège administratif québécois et où travaillent aujourd'hui 800 personnes.

Plus récemment, l'entreprise québécoise Unibroue a démarré ses activités brassicoles à Chambly avant d'être rachetée par Sleeman qui a été elle-même rachetée par Sapporo Breweries. La brasserie de Chambly mène toujours une activité industrielle avec plus de 100 travailleurs qui produisent une vingtaine de produits différents.

UN ACTEUR ÉCONOMIQUE IMPORTANT

Toute cette activité brassicole québécoise totalise aujourd'hui 35 % de la bière vendue au Canada. Les trois brasseries québécoises accaparent 84 % des ventes de 600 millions de litres de bière qui sont consommés annuellement au Québec et elles exportent pour 800 millions de bières dans le reste du pays.

« Nos brasseries québécoises permettent au Québec de réduire son déficit commercial dans le secteur des boissons alcoolisées. La SAQ importe pour plus de 1 milliard de produits par année. Nos 800 millions de ventes à l'extérieur du Québec permettent de réduire notre déficit commercial », souligne Patrice Léger Bourgoin.

Au-delà des emplois manufacturiers très bien rémunérés des brasseurs québécois, à raison de 75 000 $ par année en moyenne chez Molson et Labatt, l'activité brassicole consolide quelque 3000 emplois industriels dans la grande région de Montréal.

On a qu'à penser à Owens Illinois, l'entreprise qui fabrique les bouteilles brunes pour les grands brasseurs et les microbrasseries à son usine de Pointe-Sainte-Charles qui emploie 400 travailleurs.

Ou à Canada Malting, dont les silos sont bien visibles lorsqu'on quitte Montréal par le pont Champlain. L'entreprise transforme chaque année 80 000 tonnes d'orge pour en faire le malt utilisé par les trois grands acteurs de l'industrie.

Depuis 2008, les trois grands brasseurs ont investi plus de 300 millions dans la modernisation de leurs équipements et Molson est sur le point d'annoncer un investissement du même ordre qui ira soit à la modernisation complète de sa brasserie de la rue Notre-Dame ou plus probablement dans la construction d'une nouvelle usine dans l'est de la ville.

L'avènement et la popularité sans cesse croissante des microbrasseries, dont on recense aujourd'hui la présence de quelque 150 établissements au Québec, n'altèrent en rien le rôle économique des grands brasseurs industriels puisque leur coexistence nous rappelle que Montréal et le Québec sont avant tout une terre d'accueil pour la bière.

Montréal, Québec : Photo Bernard Brault,La Presse 18/09/2013 Vue du centre ville de Montréal à partir de l’île Ste-Hélène. Mont Royal, croix. Brasserie Molson. Place Ville Marie. Tour de l’horloge. Fleuve St-Laurent. (POUR GÉNÉRAL, LA PRESSE +, IPAD & LAPRESSE.CA) REF : #624327