Que ça nous plaise ou non, la vente de Rona au géant américain Lowe's ira de l'avant. Il s'agit d'une transaction définitive que seule une offre bonifiée que déposerait un concurrent ou un groupe d'investisseurs - désireux de conserver à tout prix la chaîne de quincailleries sous contrôle québécois - pourrait faire échouer. Ce qui ne se produira pas.

Depuis mercredi, le flot de réactions à cette transaction majeure dans le monde du commerce de détail québécois n'a pas perdu de son intensité. On commente la transaction avec passion et tout le monde a son opinion.

Pour plusieurs, il s'agit d'une nouvelle catastrophique pour l'économie québécoise alors que pour d'autres, Rona a simplement connu le sort de nombre de sociétés publiques dont les actions se négocient en Bourse et qui ne possèdent pas d'actionnaire de contrôle.

Pour ces derniers, Rona ne fait que changer de propriétaire et ses actionnaires vont être généreusement récompensés pour avoir accepté de conclure cette transaction.

C'est ici par ailleurs que j'éprouve un certain malaise parce que la transaction Rona-Lowe's nous démontre clairement qu'il peut être beaucoup plus payant pour des dirigeants de travailler à la vente d'une entreprise plutôt que d'oeuvrer laborieusement à son édification.

La haute direction de Rona va empocher 40 millions en exercice d'options et en vente d'actions à 24 $ pièce. Robert Chevrier, en poste depuis trois ans à titre de président du conseil, va ainsi encaisser 3,1 millions.

Robert Sawyer, qui a succédé, il y a trois ans, à Robert Dutton au poste de PDG de Rona, va récolter 19 millions en déposant ses titres dans la foulée de la transaction, en plus d'encaisser une prime de 4,1 millions, prévue dans son contrat en cas de changement de contrôle de l'entreprise, pour une rétribution totale de 23 millions.

C'est quand même beaucoup d'argent pour un mandat qui n'aura duré que trois ans. Ancien numéro deux chez Metro, Robert Sawyer est un opérateur aguerri et efficace qui s'était donné pour mandat de relancer Rona sur les voies de la profitabilité et de la croissance.

On comprend aujourd'hui que Robert Sawyer a surtout travaillé à « pimper » Rona ou, en des termes plus polis, à rendre la mariée plus attrayante et surtout plus monnayable en vue de la livrer à la riche et insistante Lowe's.

Robert Sawyer a fermé des magasins à grande surface en Ontario, il a entrepris la rénovation des magasins Réno-Dépôt, il a vendu la division de plomberie Noble et orchestré un redéploiement dans le marchandisage des quincailleries dans le but d'augmenter l'achalandage.

Au cours des derniers mois, il a facilité la tâche de Lowe's en procédant au rachat d'une vingtaine de magasins Rona à grande surface qui appartenaient à des marchands affiliés. Selon ce que j'ai appris, Rona a payé un très bon prix. On voulait offrir sur un plateau d'argent un réseau simplifié à Lowe's.

J'ai rencontré Robert Sawyer il y a 18 mois, exactement à la moitié de son mandat de trois ans. À l'époque, il m'avait confié que Lowe's était du passé et que le groupe américain ne constituait plus une menace pour Rona.

Une fois les opérations de Rona stabilisées, il voulait reprendre là où le groupe avait laissé, c'est-à-dire réaliser des acquisitions et des regroupements, en ciblant notamment les quincailleries Patrick Morin, et relancer l'expansion du groupe.

Visiblement, il était plus payant et bien moins compliqué de poursuivre les négociations avec Lowe's et d'espérer aller chercher le plus de valeur possible pour les actionnaires en cédant le contrôle de Rona au groupe américain.

À cet égard, Robert Chevrier et Robert Sawyer ont admirablement tiré leur épingle du jeu en obtenant que Lowe's paie le double de la valeur au marché des actions. Et Lowe's a été très opportuniste en misant essentiellement sur la dévaluation du dollar canadien pour bonifier son offre par rapport à celle de 14,50 $ présentée en 2012.

Il est quand même stupéfiant que Robert Sawyer obtienne 23 millions pour les trois années qu'il a passées à préparer et à réussir la vente de Rona - et le démantèlement probable de son réseau de magasins de proximité. Robert Dutton, qui a oeuvré durant 35 ans à bâtir une marque nationale, dont 20 à titre de PDG, a obtenu 11 millions en vendant, après son départ, les actions qu'il avait accumulées durant toute sa carrière.