La vente du fleuron québécois Rona au géant américain Lowe's illustre de triste mais éloquente façon à quel point la faiblesse du huard a rendu les entreprises canadiennes vulnérables aux prises de contrôle par des entreprises étrangères, particulièrement américaines. La grande générosité de la dernière offre de Lowe's relève effectivement davantage de la détérioration de la valeur du dollar canadien que d'une plus grande valorisation des actifs de Rona.

La haute direction et le conseil d'administration de Rona ont accueilli avec une fébrilité certaine la dernière offre du groupe américain Lowe's qui, en s'engageant à payer 24 $ pour chaque action ordinaire de Rona, a bonifié de 104 % la valeur du titre du groupe québécois par rapport à son cours de fermeture mardi soir à 11,77 $.

« Il s'agit d'un rendement incroyable », a laissé tomber en conférence de presse, hier, le président du conseil de Rona, Robert Chevrier. Le calcul du rendement obtenu se relativise toutefois lorsque l'on compare le prix de l'offre à celui de 17,86 $ que valait l'action de Rona à son sommet du printemps dernier ; on parle alors d'une prime de 38 %.

En offrant de payer 24 $ pour acquérir les actions ordinaires de Rona, le géant américain Lowe's donne aussi l'impression d'avoir vraiment bonifié son offre par rapport à ce qu'il était prêt à payer en juillet 2012, lorsque le groupe a formulé une première proposition aux administrateurs de Rona d'acquérir toutes les actions du groupe à raison de 14,50 $ par action au comptant.

Il faut toutefois rappeler ici que l'offre à 14,50 $ de juillet 2012 a été formulée au moment où le dollar canadien se transigeait pratiquement au pair avec le dollar américain. Avec un dollar à sa valeur d'aujourd'hui, Lowe's aurait dû offrir, en 2012, l'équivalent de 20 $ pour chacune des actions du groupe Rona.

Au final donc, la dernière offre de Lowe's propose seulement 4 $ de plus par action que celle qu'elle a formulée en 2012, alors que Rona était dans une situation financière nettement plus difficile et que le braquage politique autour de cette prise de contrôle rendait l'opération pratiquement impossible à réaliser.

Même si la valeur nette de Rona est passée de 1,76 milliard en 2012, à l'époque de la première offre, à 3,2 milliards aujourd'hui, le coût additionnel qu'assumera Lowe's ne s'élève qu'à 500 millions US, grâce à la foudroyante dévaluation du dollar canadien.

Rona devient ainsi la première grande entreprise canadienne à être acquise à prix d'aubaine par une concurrente américaine dans le présent cycle de change favorable aux Américains.

Rien ne laisse présager qu'elle sera la dernière alors que, bien au contraire, cette première transaction pourrait marquer le début de la saison de la chasse aux aubaines canadiennes.

EN ROUTE VERS LE DÉMEMBREMENT

En procédant à l'acquisition de Rona et de son réseau hybride de plus de 500 magasins - composé de commerces appartenant à des propriétaires associés et d'entités corporatives - , Lowe's réalise son rêve de percer le marché canadien, où l'entreprise ne compte que 42 magasins.

On peut toutefois s'attendre à ce que l'entreprise américaine rationalise sa nouvelle activité canadienne puisque le groupe n'exploite que des magasins à grande surface ; c'est son modèle d'affaires partout aux États-Unis, au Mexique et au Canada.

Ses dirigeants et ceux de Rona ont eu beau réaffirmer, hier, que Lowe's s'intéressait aux petits magasins de proximité, on peut parier que cet intérêt va rapidement s'estomper et que le groupe américain va rapidement concentrer ses opérations sur les gros magasins Rona corporatifs.

Les dirigeants du groupe québécois ont d'ailleurs préparé le terrain en vue de cette transaction puisqu'ils ont procédé au cours des derniers mois au rachat d'une vingtaine de Rona régionaux qui appartenaient à des marchands affiliés pour les transformer en magasins corporatifs.

Des marchands indépendants nous ont indiqué, hier, qu'ils n'avaient pas eu encore de nouvelles ni de Rona ni de Lowe's et qu'ils allaient évaluer leurs options au cours des prochains mois.

Du côté de chez BMR, le deuxième acteur québécois en importance, on évalue cette transaction de façon positive puisqu'elle ouvre des possibilités que l'on voulait justement explorer.

« On a 300 magasins au Québec qui sont bien implantés dans toutes les régions et qui sont tous la propriété de marchands affiliés. C'est notre modèle d'affaires.

« On veut percer davantage les marchés urbains de Montréal, Québec et Sherbrooke, et il y a peut-être des marchands Rona qui vont s'intéresser à nous. On va suivre la situation de près », avise Pascal Houle, chef de la direction de BMR.

Pour BMR, la chasse aux occasions est clairement ouverte.