On ne peut pas conjuguer développement avec austérité. C'est pourtant autour de cette belle antinomie que va dorénavant s'articuler l'effort de développement économique dans toutes les régions du Québec à la suite du démantèlement du réseau des 120 centres locaux de développement (CLD), qui étaient financés par Québec et les municipalités.

Le désengagement financier de Québec, qui a décidé de réduire de 72 à 32 millions de dollars sa part du financement annuel des CLD, combiné à la réduction des budgets des villes et des MRC, qui comblaient l'autre partie de leur budget de fonctionnement, va entraîner la disparition d'au moins la moitié des 120 CLD.

Lorsqu'ils ne disparaîtront pas totalement pour être intégrés dans la structure de fonctionnement de certaines MRC, la soixantaine de CLD restants fonctionnera avec des effectifs réduits qui toucheront d'autant leur capacité d'intervention.

Les CLD ont été créés il y a une quinzaine d'années avec le mandat d'épauler les entreprises en phase de démarrage sur l'ensemble du territoire québécois.

Les 120 organismes se partageaient un budget de subventions de 25 millions, mais ils étaient surtout l'interface qui permettait d'aiguiller les entrepreneurs dans leurs démarches pour circuler dans les dédales de l'appareil gouvernemental et réglementaire et auprès des institutions de financement régionales.

«Dans plusieurs municipalités où on va intégrer les CLD, ils n'ont pas l'expertise ni l'expérience pour lever du financement auprès des fonds régionaux du Fonds de solidarité ou de Desjardins.

«C'est le directeur général de la ville qui va orchestrer le tout et qui va envoyer l'entrepreneur au guichet des permis», expose Yves Maurais, président de l'Association des CLD du Québec.

Yves Maurais a de la difficulté à décolérer depuis qu'il constate l'état chaotique dans lequel on vient de plonger le monde du développement économique régional.

Il rappelle surtout que le gouvernement n'a jamais consulté les conseils d'administration des CLD ni leur association avant de décréter sa réforme.

«Le président et la moitié des administrateurs des CLD sont des entrepreneurs qui participent sur une base bénévole, comme c'est mon cas, parce qu'ils souhaitent un plus grand rayonnement de leur région. On ne les a pas consultés», déplore-t-il.

Un paradoxe insoluble

Quand on fait du développement, c'est qu'on cherche à aller plus loin en priorisant des objectifs, en mettant en place des moyens et en affectant des ressources pour y arriver.

Le Québec affiche encore cette année une activité économique anémique qui n'arrive pas à générer de nouveaux emplois et qui, pire encore, est incapable de maintenir en vie des milliers d'emplois existants.

Malgré cette situation dramatique, tous les CLD du Québec font depuis un mois des licenciements pour répondre à la commande du gouvernement et en prévision des impacts qu'aura la réforme du plan fiscal avec les municipalités.

Il y a deux semaines, Innovation et développement économique de Trois-Rivières a ainsi aboli cinq postes et ne comblera pas un poste de cadre qui était vacant pour respecter son budget de fonctionnement amputé de 700 000$.

À Longueuil, on a décidé de saborder le CLD pour intégrer ses activités à la structure de la municipalité. Pour réduire la portée de la chute du financement de Québec au développement économique local, on a décidé de mettre fin aux activités d'un autre organisme de démarchage économique, Développement économique Longueuil, où travaillaient une quinzaine de personnes.

«On faisait un travail complémentaire. Le CLD s'occupait de faire du soutien au démarrage alors que nous, on faisait de l'accompagnement économique et immobilier pour les entreprises déjà établies», précise Mario de Tilly, qui a été recruté il y a neuf mois pour présider DEL et qui va perdre son emploi à la fin du mois.

En 11 ans, DEL a participé au déploiement de quelque 900 millions d'investissements sur le territoire de l'agglomération de Longueuil, qui ont entraîné la création de 6000 emplois.

«Pour chaque dollar investi dans DEL, Longueuil obtenait 75 millions de retombées économiques. Quand on sait que 9 emplois sur 10 sont créés au Québec par des PME déjà implantées, pourquoi tout sacrifier et miser sur des investissements étrangers dont on ne voit pas la valeur ajoutée?», souligne Mario de Tilly.

À l'autre bout de la 132, Bruno Bernatchez, directeur du CLD de la Côte-de-Gaspé, constate pour sa part que la réforme libérale se traduira par l'abolition de deux postes dans son organisation à la structure déjà très allégée.

«Nous, on avait déjà entrepris une réforme en 2009 lorsqu'on a fusionné le CLD à la MRC. Je dirige les deux organismes et on s'adapte à la réalité du milieu. Le désengagement de Québec va représenter une réduction de près de 400 000$ de notre fonds de subvention pour la prochaine année», explique-t-il.

Il y a un an, les CLD étaient au coeur de la politique industrielle du gouvernement du Parti québécois, qui leur avait confié la prise en charge de l'émergence de nouvelles PME championnes. Aujourd'hui, ils ne comptent plus pour grand-chose dans la quête d'une croissance économique durable pour le Québec, qui en a pourtant désespérément besoin.