Principal producteur de lait au Canada, le Québec ne s'est lancé que tardivement dans la production de boeufs à grande échelle. Longtemps, les Québécois se sont nourris de vaches de réforme ou de veaux que l'on transformait en viande parce que ces deux types de protéines n'étaient d'aucune utilité dans les fermes laitières.

Depuis une quarantaine d'années toutefois, des producteurs ont décidé de se lancer dans l'élevage et la production de boeufs en mettant sur pied de vastes parcs d'engraissement de bouvillons, principalement dans le Centre-du-Québec.

À l'instar des producteurs de porcs, ces entrepreneurs agricoles exploitent d'importantes propriétés où ils cultivent parallèlement des champs de céréales qui leur permettent de nourrir leur cheptel.

Il s'agit d'une industrie qui est jeune et d'où émerge à peine une deuxième génération de producteurs, mais dont l'ambition est manifestement d'occuper une place plus importante dans le marché nord-américain en optimisant leurs moyens de production pour gagner en efficacité et en qualité des produits.

J'ai participé mardi à Drummondville à un colloque impliquant de nombreux acteurs de la filière bovine québécoise, et ils affichaient tous la volonté de réaliser le plein potentiel de leur secteur d'activité.

Une industrie morcelée

Le Québec compte 10 000 producteurs de veaux, mais seulement 80 gros éleveurs et propriétaires de parcs d'engraissement sont responsables de 95% de la production de tous les boeufs qui prendront le chemin de l'abattoir.

Marc Grimard est directeur général de Bovibec, un important éleveur de bouvillons de Sainte-Anne-de-la-Pérade qui exploite un parc d'engraissement où transitent chaque année plus de 8000 têtes de bétail.

Les éleveurs comme Marc Grimard achètent leurs bêtes à l'encan. La production annuelle moyenne des éleveurs de veaux québécois étant de 30 têtes, les éleveurs doivent s'appuyer sur une multitude de fournisseurs pour combler leurs besoins.

Ils engraissent les bouvillons avant de les envoyer dans des abattoirs à l'extérieur du Québec puisque la dernière grosse usine de transformation bovine qui appartenait à la Fédération des producteurs de boeufs du Québec a fermé ses portes en 2008.

L'entreprise Les Viandes Laroche, à Asbestos, est le seul abattoir industriel encore en exploitation au Québec, mais ses capacités de transformation sont limitées à moins de 15 000 têtes par an.

Une visibilité nulle

Les producteurs de boeufs québécois doivent donc faire transformer leur bétail chez les géants Cargill au Canada ou JBS aux États-Unis. Bien qu'ils soient satisfaits de leur relation d'affaires avec leurs partenaires industriels, les producteurs québécois perdent dans le processus de transformation l'identité de leur production.

Les gros abattoirs n'ont pas à préciser la provenance du boeuf, une fois qu'ils l'ont transformé en viande.

Avec la production de plus de 100 000 boeufs par an, la production québécoise compte pour 4% du total canadien. Ce n'est pas immense, mais la production québécoise représente aussi 20% de ce que les Québécois consomment en boeuf par année au Québec.

Les producteurs québécois ont donc une marge d'expansion considérable sur leur propre marché qu'ils pourraient conquérir s'ils arrivaient à imposer leur marque auprès des détaillants en alimentation qui font des affaires sur notre territoire.

Le problème, c'est qu'une fois que le boeuf québécois est sorti de l'abattoir, son identité est amalgamée à la marque générique boeuf canadien. Un producteur de Farnham vend ses bouvillons à un abattoir de Pennsylvanie dont la viande sera mise en marché en Virginie, alors que le consommateur de Granby achètera un steak provenant d'un boeuf de l'Iowa.

Ce sont les grands détaillants - Metro, Loblaw et Sobeys au Canada - qui font affaire directement avec les abattoirs et qui achètent des coupes de boeuf, et non pas des appellations d'origine. Les producteurs n'ont rien à dire, mais ils ne peuvent pas profiter de l'originalité de leur production.

En Ontario, des producteurs bovins ont réussi, en 2001, à convaincre Loblaw de mettre en marché la spécificité du produit qu'ils avaient développé, c'est-à-dire un boeuf au grain de l'Ontario.

Le géant de l'alimentation a accepté de financer 50% de la mise en marché de cette marque spécifique, ce qui a permis aux producteurs ontariens de gagner des parts de marché et de hausser à 18% leur part du marché canadien.

Les consommateurs québécois sont sensibles à l'origine des produits qu'ils consomment. On l'a vu avec les produits du porc, les fromages et le vin depuis que la Société des alcools a enfin compris le rôle qu'elle avait à jouer.

Les consommateurs sont sensibles autant par nationalisme économique que par souci de réduire l'empreinte carbone qu'implique la consommation de produits qui voyagent inutilement. Si la filière bovine québécoise veut prendre de l'expansion, elle doit trouver le moyen de mieux s'afficher.