On pourrait un jour assister à l'avènement de coopératives multinationales géantes qui pourraient faire contrepoids aux grands groupes capitalistes classiques, essentiellement centrés sur le seul rendement de leurs capitaux. C'est une éventualité qui se discute au Sommet international des coopératives, notamment dans les secteurs financiers et agroalimentaires.

Va-t-on assister à la fin prochaine de l'image que beaucoup se font des coopératives, c'est-à-dire celle d'une petite entreprise pauvre, à caractère social, qui ne fait pas d'argent et qui dessert une clientèle démunie?

La réponse est non. Les coopératives ont encore et toujours un rôle éminemment important à jouer au sein des petites communautés ou des groupes d'intérêt qui décident de prendre en main leur destin.

Mardi, Louis Rocquet, président du conseil d'Investissement Québec et ex-président de Desjardins Capital de risque, a raconté une anecdote savoureuse qui résume à merveille le rôle capital qu'une coopérative peut jouer dans la vie des gens.

Il y a quelques années, trois petits villages du Saguenay-Lac-Saint-Jean, respectivement peuplés de 500, 700 et 800 habitants, ont tour à tour été frappés par la fermeture de la seule épicerie du village.

Cette fatalité venait s'ajouter à la fermeture toute récente de la seule pompe à essence de chacune de ces localités rurales. Parce qu'ils ne profitaient pas d'un achalandage minimal qui leur aurait permis de rester en affaires, les responsables de ces commerces n'ont eu d'autres choix que de cesser leurs activités et de fermer leur porte.

C'est donc dire que les habitants de ces trois villages devaient parcourir jusqu'à 60 kilomètres pour combler leurs besoins de base en nourriture et en essence. Ce qui fait cher la pinte de lait.

Plutôt que de ne rien faire et de se laisser abattre par ce triste sort du destin - qui risquait aussi de dévitaliser leur lieu d'existence -, les habitants de ces trois villages se sont regroupés pour créer une coopérative qui allait exploiter un dépanneur et une pompe à essence dans chacune des municipalités.

Comme plus de la moitié des habitants des villages sont devenus membres de leur coopérative, ils ont développé un sentiment d'appartenance qui a permis à chacun des établissements de retrouver un achalandage suffisant pour les assurer de faire leurs frais.

Le Mouvement Desjardins a même décidé d'implanter dans certains de ces commerces un centre de services, ce qui est venu boucler la fin d'un heureux dénouement qui illustre bien la pertinence toujours actuelle du modèle coopératif.

Force économique montante

À l'autre extrême, le mouvement coopératif affiche pleinement qu'il est aussi une force économique montante.

Dans le secteur de la production laitière, on retrouve 11 coopératives au sein des 27 groupes de transformation laitière les plus importants dans le monde. En Amérique du Nord, Agropur se classe parmi les plus importants transformateurs laitiers avec une production annuelle de 3,7 milliards de dollars.

La Coopérative fédérée, la plus importante coopérative agricole au Canada, avec ses revenus annuels de 5,5 milliards - et de presque 9 milliards lorsqu'on inclut les entreprises de son réseau - est rendue elle aussi au stade où elle veut démontrer sa capacité à oeuvrer sur la scène mondiale.

«Idéalement, il faudrait arriver à créer une entreprise mondiale capable de faire concurrence aux géants Monsanto et Cargill. Si les 100 plus grosses coopératives agroalimentaires s'alliaient, on pourrait devenir une force mondiale apte à mieux gérer l'alimentation de la planète», m'a expliqué hier Denis Richard, président de la Coop fédérée.

«Dans une coopérative, ce n'est pas le capital qui vote, c'est l'humain. Un membre, un vote. Ce n'est pas de la dictature économique c'est de la démocratie économique.»

Denis Richard confirme que des discussions en vue de la création de tels géants coopératifs se déroulent en marge du Sommet de Québec. Si 100 entreprises qui réalisent chacune 5 milliards de revenus annuels se fédèrent, on parle ici d'une entité qui générerait des revenus de plus de 500 milliards.

«Il faudrait avoir des alliés financiers et que Desjardins, le Crédit foncier, la Rabobank [Pays-Bas] réalisent une association. Ça aussi ça se discute», observe ce vétéran du monde coopératif.

D'ici à ce que ces coopératives globales voient le jour, on peut aussi imaginer que les trois dépanneurs qui ont été créés sous forme de coopérative au Saguenay-Lac-Saint-Jean poursuivent leur essor pour s'imposer un jour comme une chaîne capable de concurrencer Couche-Tard...